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[Interview] Avoir peur en avion, ça se soigne !

Xavier Tytelman, spécialiste en sécurité aérienne, a créé il y a un peu plus de 3 ans un stage destiné à ces nombreux voyageurs incapables de prendre l’avion du fait d’une phobie insurmontable. Nous l’avons rencontré afin qu’il nous détaille ce phénomène ainsi que le stage qu’il a conçu, en partenariat avec une psychologue.

 

Comment se déroule votre stage de traitement de la peur en avion ?

Xavier Tytelman : Notre stage se décompose en trois parties. D’abord, les stagiaires passent la matinée avec une psychologue qui va leur enseigner des techniques pour savoir mieux gérer leurs angoisses. En situation de stress, il est par exemple se concentrer sur une tâche concrète (écrire ce que vous ressentez, faire du calcul mental…). Cela permettra en effet de rallumer le cortex, et ainsi d’éteindre le cerveau des émotions qui cherche à instaurer la panique. Exercices de respiration et capteurs cardiaques sont aussi au programme pour apprendre à diminuer les symptômes de l’anxiété (coeur qui accélère, respiration difficile…).

Après le déjeuner, pris en groupe, c’est la formation technique qui commence. Nous présentons en particulier le fonctionnement du monde de l’aviation (du phénomène de portance jusqu’à l’élaboration d’un plan de vol, en passant par un rappel sur les normes de sécurité en vigueur). Les

Formation technique
Un formateur détaille les principes des turbulences à un groupe de stagiaires

participants sont aussi friands de quelques chiffres rassurants : une turbulence n’est en fait qu’un trou d’air d’une vingtaine de centimètres au maximum, l’avion n’est jamais penché à plus de 15° lors du décollage… Le rôle des médias est aussi décrypté car la sécurité aérienne est un sujet très porteur, pour les journalistes comme pour les spécialistes et les syndicats.

Enfin, la journée se conclut par le passage au simulateur pour se replonger dans l’ambiance d’un vol commercial. Au programme : décollages, atterrissages, simulations de pannes, météo extrême ou dégradée, avec en plus la reproduction des sensations physiques d’un vrai vol dans le cas du simulateur de Pontoise (seul simulateur destiné au grand public en France à être équipé de bielles pour reproduire les mouvements de l’avion).

 

Comment est né le stage « Prêt à décoller » ?

Sous sa forme actuelle, le stage a été lancé en 2012, suite à l’ouverture du simulateur de vol Flight Experience à Paris. Mais l’histoire du stage « Prêt à décoller » remonte à 2008, lorsque Velina Negovanska, la psychologue co-fondatrice de ce stage, m’a demandé d’intervenir auprès de certains de ses patients souffrant de phobie en avion. Mon rôle était alors de les rassurer en leur expliquant les raisons techniques et concrètes pour lesquelles un avion peut décoller et voler, en les rassurant sur le fait qu’un orage ou des turbulences ne sont pas critiques pour un avion…

D’autres psychologues m’ont par la suite recommandé à ce type de patient, et une structure s’est peu à peu établie, en rajoutant de nouvelles activités visant à désacraliser ce rapport conflictuel entre le phobique et un avion : visite d’avion au sol, visite de tour de contrôle, et même des vols en avion de tourisme pour ceux qui ressentent le besoin de pouvoir se poser en deux minutes, ou de vrais vols accompagnés sur des avions de ligne.

Enfin, le simulateur de vol s’est avéré par le parfait complément à ce socle psychologique et technique car il affecte durablement le cerveau des émotions. Il est en cela encore plus efficace qu’un vrai vol accompagné d’un formateur dans un petit avion pour enlever l’angoisse de reprendre l’avion.

Aujourd’hui, nous sommes capables d’assurer ce stage dans 7 centres différents : Paris, Pontoise, Marseille, Montpellier, Grenoble, Charleroi (Belgique), et le dernier né, Lausanne (Suisse).

 

Qui sont ces voyageurs qui se tournent vers votre stage contre la peur en avion ?

On estime que 20% de la population européenne a peur de prendre l’avion. Cela dit, il n’y a pas un profil unique de phobique en avion, et chaque cas doit être traité selon ses spécificités. Les personnes faisant appel à nos services remplissent donc un questionnaire qui nous permet de déterminer en amont à quel type de peur ils font face, et ainsi de leur apporter la réponse la plus adaptée à leurs besoins. On distingue d’ailleurs 5 grands profils type de peur en avion :

— La peur du crash : le passager craint les turbulences, les pannes éventuelles et les orages rencontrés car cela pourrait conduire au crash de l’avion,

— Le besoin de contrôle : le passager n’admet pas que sa vie soit entre les mains d’un inconnu, le pilote. Il doit être maitre de la situation pour se sentir rassuré,

— La peur d’avoir peur : la mauvaise gestion de l’anxiété conduit à développer une peur d’avoir une crise de panique, ou d’avoir le cœur qui s’accélère,

— Peur des sensations physiques : les trous d’air, les mouvements de chute et les turbulences suffisent pour déclencher la panique chez ces patients,

— Les autres types de phobie empêchant de prendre l’avion : celles-ci vont de la claustrophobie jusqu’à la peur des microbes en passant par la peur de vomir…

Notre questionnaire permet aussi de savoir si la phobie s’est déclarée suite à un événement particulier, ou si celle-ci s’est construite peu à peu. Pour certains, c’est un vol dans des conditions chaotiques qui a déclenché un traumatisme durable, pour d’autres, il leur a suffi de regarder Destination Finale pour développer une phobie aiguë… A l’inverse, pour deux tiers des stagiaires, la peur s’est construite peu à peu, la répétition ne faisant qu’empirer ce qui n’était à l’origine qu’une légère inquiétude.

Ces passagers en viennent donc à vouloir surmonter cette peur, pour des raisons personnelles (certains n’ont pas pu voir leur famille pendant des années), ou professionnelles (un des stagiaires m’avait raconté avoir raté un contrat à 21 millions de dollars par incapacité de prendre l’avion pour aller signer un contrat avec un investisseur asiatique).

 

Outre la gêne occasionnée par cette incapacité à prendre l’avion, il y a donc aussi derrière un réel enjeu économique ?

L’an dernier, près d’un tiers des personnes que nous avons traitées se sont fait payer les 430€ du stage (pris en charge par certaines mutuelles) par leurs employeurs. Ces derniers veulent ainsi intervenir pour éviter à certains de leurs cadres de perdre des journées entières dans des trajets qui auraient pu être considérablement raccourcis en prenant l’avion. Le poids économique est aussi sensible chez les assureurs et les compagnies aériennes, qui voient dans ces annulations de vol un coût réel.

Ajoutez en effet à cela l’éventuelle perte de contrats pour les entreprises suite à l’incapacité de voyager, et vous comprenez que la peur en avion se fait véritablement sentir dans un vaste périmètre. Des études sont actuellement en cours pour essayer de chiffrer cet impact, mais on estime que rien que les pertes de contrats pourraient représenter 5 milliards d’euros par an en France.

 

Comment s’assurer que la phobie a effectivement disparu en fin de stage ? Mettez-vous en place un dispositif de suivi ?

La relation avec nos stagiaires ne s’arrête bien entendu pas à au simple stage. Nous revenons ainsi vers eux la veille de leur premier vol afin, par exemple, de leur donner la météo prévue pour qu’ils y soient préparés. Nous leur rappelons aussi de prévenir le personnel de bord de leur condition, pour que celui-ci prenne une précaution particulière à répondre à tous leurs besoins. Notre page Facebook permet aussi d’échanger avant et après le stage, pour poser des questions et partager ses expériences. Beaucoup de stagiaires reviennent naturellement vers nous en nous envoyant spontanément une carte postale depuis l’endroit dans lequel ils ont enfin pu se rendre en avion.

En ce qui concerne l’efficacité de ce stage, une étude indépendante a été menée par le département de psychologie de l’université Paris-Descartes et plusieurs critères ont certifié la pertinence de notre solution. Le plus marquant est sans doute la note sur 10 que nous demandons à nos stagiaires afin d’évaluer leur peur de l’avion. Avant le stage, l’anxiété moyenne est de 9,2/10, et elle n’est plus que de 3,7/10 dès le premier vol qui suit le stage. Il s’agit d’une moyenne sur plus de 200 anciens stagiaires, donc pas de simples cas isolés.

 

Pour plus d’informations sur ces différents stages :

Le site pour le stage en France

Le site pour le stage en Belgique

–  Le site pour le stage en Suisse

Xavier Tytelman m’a, dans le cadre de cette interview, invité à venir découvrir le simulateur Flight Sensations de Pontoise, cité dans cet article. Celui-ci est donc le seul simulateur articulé de France à destination du public, et permet donc de reproduire tous les mouvements ressentis dans une cabine d’avion. Il est recommandé aux personnes craignant en particulier les sensations physiques liées à un vol (trou d’air, turbulences…), et certaines personnes viennent de l’autre bout de la France pour profiter de cette installation unique en son genre et soigner leur phobie. Mais le simulateur est aussi ouvert aux passionnés de l’aéronautique, pilotes à la retraite, ou jeunes en formation pour des sessions de découverte réservables en ligne. Pour en savoir plus, rendez-vous sur leur site Internet : www.flight-sensations.idf.com

J’en profite pour remercier Dominique Hanne qui m’a réservé un excellent accueil au sein du simulateur de Pontoise.

Simulateur du stage peur en avion
Photo prise dans le simulateur articulé de Pontoise

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