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Comment Uber compte révolutionner le transport routier de marchandises ?

Après avoir transformé le secteur du transport de personnes et s’être implanté dans la livraison de nourriture, Uber s’attaque désormais au secteur du FRET, le transport routier de marchandises. La société américaine a discrètement lancé, le 26 décembre dernier aux Etats-Unis, le service Uber Freight dédié à ce marché.

Uber Freight : la nouvelle Marketplace du transport routier

Pour l’heure, la plateforme Uber Freight reste plutôt mystérieuse. En effet, elle permet simplement aux expéditeurs et aux acheteurs de s’inscrire et d’attendre le lancement officiel de ce service, qui devrait avoir lieu dans les prochains mois. Le site internet s’apparente à une Marketplacede mise en relation entre transporteurs et clients, comme celle qui existe aujourd’hui pour le transport de personnes. Et on peut facilement imaginer qu’Uber va utiliser les recettes qui ont fait son succès au niveau du transport de personnes pour créer la même effervescence autour du transport routier de marchandises.

Le rapport U.S. Freight Transportation Forecast to 2026, publié par par l’American Trucking Associations , montre que le chiffre d’affaires de cette industrie a atteint 1,52 milliard de dollars en 2016 aux Etats-Unis. Il montre également que les entreprises de ce secteur enregistrent une hausse du chiffre d’affaires de 10 % chaque année depuis 2014. Ces chiffres expliquent l’intérêt d’Uber à se positionner sur ce secteur qui est plus rentable que celui du transport de personnes et celui de la livraison de repas.

Pour se faire une place dans cette industrie florissante et convaincre les différents acteurs d’utiliser sa plateforme, Uber souhaite innover et court-circuiter l’actuel modèle de ce secteur. Aujourd’hui, ce modèle est composé de 3 parties prenantes :

* Le client qui souhaite transporter des marchandises ;

* Le transporteur qui va transporter les marchandises du client ;

* Le Broker, acteur incontournable du transport de marchandises américain, qui va servir d’intermédiaire entre le client et le transporteur, moyennant une commission de 15 à 20% sur le coût de la transaction.

Uber souhaite, avec sa Marketplace, remplacer le Broker et réduire les coûts liés à cet intermédiaire. Les prix seront maintenant déterminés en temps réel en fonction de l’offre et de la demande et non par rapport au coût de la transaction. Selon Eric Berdinis, le responsable de la plateforme interrogé par Business Insider, « Vous économiserez de l’argent avec un prix déterminé en temps réel. Avoir un intermédiaire qui passe ses journées à passer des coups de téléphone n’est pas très rentable ».

Le potentiel de cette Marketplace est également intéressant au-delà du marché américain. Interrogé par Le Parisien, Yann Viguié, secrétaire général de l’OTRE (Organisation des transports routiers européens), confie que « Ce que veut faire Uber, à savoir jouer l’intermédiaire, n’est pas nouveau. L’objectif est de ne jamais circuler à vide. A l’époque du Minitel, les chauffeurs s’arrêtaient dans les stations qui en possédaient un pour trouver un client. Depuis dix ans, ils utilisent Internet. Et plus récemment, les applications sur leurs smartphones pour être géolocalisés. » Cependant, ce marché d’intermédiaire reste très marginal selon l’OTRE et équivaut à 1 %, du transport de marchandises en Europe. Un potentiel que ne manquera pas d’exploiter la société américaine. De plus, lorsque l’on sait qu’un camion sur trois circule à vide, il est facile d’imaginer la marge de productivité induite par ce type de plateforme, et donc les bénéfices attendus par Uber.

Cependant, la société américaine de transport n’est pas nouvelle sur ce marché. En effet, d’autres startups qui proposent un service assez similaire ont aussi vu, dans le transport routier de marchandises, un potentiel intéressant. C’est le cas notamment des sociétés Convoy, CargoX et Cargomatic, respectivement fondées en 2015, 2016 et 2013. Mais la notoriété et la taille acquise par Uber devraient lui permettre de se faire rapidement une place sur ce marché et de développer son service aux Etats-Unis et à l’international. Selon M.Berdinis, « Nous parlons de transporter des centaines de milliers de dollars. Vous avez besoin d’une entreprise qui a l’envergure suffisante pour gérer cela. » Il précise également que la société dispose déjà de bureaux aux quatre coins du monde. Un réel atout pour mener à bien ce projet par rapport à ses concurrents.

Un pas de plus vers l’autonomisation du transport routier ?

L’émergence de cette plateforme est la première étape vers un autre objectif de la société américaine : développer une offre liée aux transports autonomes. Le point d’ancrage de cet objectif est le rachat par Uber en juillet 2016 de la startup Otto pour 680 millions de dollars. Cette startup a développé un kit pour transformer n’importe quel poids lourd en véhicule autonome. Cette acquisition a d’ailleurs permis au géant américain de faire rouler sur près de 200 kilomètres en octobre dernier un camion autonome entre 2 villes américaines Ford Collins et Colorado Springs.

La plateforme Uber Freight va servir de passerelle à la société Uber pour atteindre cet objectif. Ce qu’a confirmé Eric Berdinis dans les colonnes du magazine en ligne Business Insider « Même si nous avons commencé avec l’annonce des camions autonomes, nous avions toujours eu l’intention de construire une Marketplace qui permettrait à ces camions de se développer ». Et on comprend facilement le lien qui existe entre cette Marketplace et la startup rachetée par Uber. Côté transporteurs, la société américaine pourra proposer de se doter des services d’Otto et d’autonomiser les véhicules. Elle pourra ainsi récupérer les données de ces véhicules (distances parcourues, nombre de freinage moyen par kilomètre, arrêts effectués, vitesse moyenne) pour améliorer ses logiciels de conduite autonome et donc in fine les services fournis à ses clients. Côté clients, elle pourra proposer de livrer les marchandises avec des véhicules autonomes ou des véhicules conduits par un chauffeur. Elle proposera donc une offre diversifiée pour mieux répondre aux besoins de ses clients. Un véritable cercle vertueux pour la société !

La stratégie est assez similaire à celle appliquée pour le transport de personnes. En effet, Uber va proposer dans son application, lorsque la technologie sera mature et que la législation l’autorisera, une offre liée aux véhicules autonomes. Cependant, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette offre ne viendra pas remplacer celle liée aux chauffeurs. Elle viendra la compléter et le client aura le choix entre ces différents services. Ceci est dû au fait que les véhicules autonomes ne pourront pas prendre en charge tous les trajets et que les chauffeurs seront toujours nécessaires pour réaliser des courses spécifiques. Selon M.Berdinis, « Nous voyons l’avenir composé de deux choses : des Marketplace et l’autonomisation. Cela s’appliquera du côté du consommateur et du côté du FRET ».

A quoi se confronte Uber en lançant une telle plateforme ?

Il y a trois risques inhérents à la création de cette Marketplace. Le premier concerne les conflits sociaux que pourraient créer Uber avec les chauffeurs routiers, comme celui qui existe aujourd’hui en France entre la société américaine et les chauffeurs VTC. Le second concerne la législation qui ne permet pas aujourd’hui la circulation des véhicules autonomes sur les routes. La dernière est liée à la conduite du changement que la société devra opérer pour convaincre et habituer une industrie très particulière d’utiliser sa Marketplace. L’actualité française a été récemment frappée par un conflit entre la société américaine et les chauffeurs VTC qui utilisent sa plateforme pour réaliser leurs courses. Ces derniers ont pris part, cet hiver, à plusieurs mouvements de grève pour manifester contre la hausse de 5% du montant de la commission prélevée par Uber. Cette commission s’élève désormais à 25% du prix total de la course, ce qui, selon les chauffeurs VTC, diminue considérablement leurs revenus et les incite à devoir travailler encore plus pour pouvoir amortir la location de leurs véhicules. A titre d’exemple, un chauffeur rencontré par France 2 a expliqué devoir travailler huit heures par jour, sept jours sur sept pour gagner 900 euros par mois. Ce conflit nous donne un éclairage intéressant sur l’avenir de la plateforme Uber Freight puisqu’il est imaginable, qu’à terme, de tels mouvements se créent entre Uber et les chauffeurs routiers. Il serait donc préférable que la société apprenne de ses erreurs au niveau de son service de transport de personnes pour éviter de nouvelles tensions sur le secteur du transport de marchandises. Une telle plateforme qui vise à promouvoir l’autonomisation du transport de marchandises pose toujours la question de savoir si les emplois de chauffeurs vont être détruits in fine par ce service. A ce sujet, Travis Kalanick, le CEO d’Uber, se montre plutôt rassurant : « Si vous parlez de villes comme San Francisco ou de sa région, nous avons généralement 30 000 chauffeurs qui travaillent pour nous. Nous allons passer de 30 000 à 1 million de voitures. Mais lorsque vous passez à 1 million de voitures, vous allez toujours avoir besoin de voitures conduites par des chauffeurs, car il y a des endroits qui sont inaccessibles pour les voitures autonomes et des situations qu’elles ne peuvent pas gérer. Et bien que le pourcentage va diminuer, j’imagine que nous aurons de 50 000 à 100 000 chauffeurs, pour une flotte de 1 million de véhicules ». L’avenir montrera si la société conservera ces emplois et si elle pourra faire face à toutes les questions politiques, morales et éthiques que cette question soulève.

Le second risque engendré par la création d’une telle Marketplace concerne la législation. En effet, si Uber souhaite amener sur nos routes des véhicules autonomes, il va falloir que la société attende patiemment que la législation s’adapte pour autoriser ces nouveaux modes de transport. Il y a tout de même eu des évolutions à ce niveau ces derniers mois, comme en mars dernier avec la modification de la Convention de Vienne. Ce texte régule la circulation routière internationale et stipule désormais que « Les systèmes de conduite automatisée seront explicitement autorisés sur les routes, à condition qu’ils soient conformes aux règlements des Nations unies sur les véhicules, ou qu’ils puissent être contrôlés voire désactivés par le conducteur. » Mais il est difficile pour la société d’obtenir des garanties quant à l’évolution de cette législation et donc d’anticiper à coup sur les futures évolutions de son chiffre d’affaires pour bien ajuster son niveau d’investissement lié aux véhicules autonomes. Interrogé à ce sujet, Travis Kalanick répond « Voilà la question à un million de dollars, et j’aimerais avoir une réponse à vous donner, mais je n’en ai pas. Ce que je sais, c’est que je ne peux pas me tromper. Je dois m’assurer que je serais prêt quand elle sera prête [la législation] ou que je mette tout en œuvre pour faciliter son implémentation. »

Le dernier risque concerne l’industrie du transport de marchandises en elle-même. En effet, Uber va devoir s’adapter à un secteur complexe (diversité des matériaux transportés, pluralité des secteurs du FRET etc.). La société américaine va devoir proposer une offre qui englobe toute la complexité et tous les paramètres de ce secteur, alors qu’elle nous a habitué à proposer un modèle unique pour tous les pays où elle souhaite s’installer. Elle devra également faire face à des personnes et un secteur réticents à l’utilisation des nouvelles technologies pour leur business. Selon M.Berdinis « La chose la plus difficile au sujet d’intégrer le monde du fret est que les systèmes informatiques utilisés par les gens avec qui nous travaillons sont très anciens ». L’intérêt et l’aspect pratique de la plateforme devront donc être limpides pour être qu’elle soit acceptée et utilisée au sein de cette industrie.

 

Pour évaluer la réussite de ce nouveau projet, il faudra donc être attentif à la réaction des professionnels du transport de marchandises et voir si Uber arrivera à adapter correctement son service pour le faire correspondre à leurs attentes. Il faudra également que la société de transport américaine intègre dans son modèle les faux pas de ses expériences passées (conflits sociaux et législatifs) pour limiter les risques et ne pas renouveler ses erreurs. Au final, c’est certainement le CEO d’Uber, Travis Kalanick, qui résume le mieux la situation pour son entreprise : « C’est un secteur stimulant, intéressant et subtil, et ça va être intense pour l’intégrer, mais c’est très excitant ».

 

HugoGR1MM3R

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