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Véhicules autonomes : les urbanistes 4.0 à la manoeuvre

Les projets liés à la ville intelligente et durable révolutionnent la ville et les métiers de l’urbain. Les urbanistes, experts de l’urbain dans sa forme physique comme dans sa complexité informatique, sont deux métiers homonymes que la smart city rend aujourd’hui complémentaires. Nommons les premiers urbanistes-physiques : ils travaillent à l’organisation de la ville dans sa forme urbaine depuis que des villes existent. Les seconds, que l’on pourrait nommer urbanistes-informatiques, travaillent à l’architecture de systèmes d’informations et de solutions logicielles. Jusqu’à présent cantonnés à des systèmes d’information internes à des organisations, l’essor de l’IoT dans l’environnement urbain leur donne un rôle central qu’ils partagent désormais avec les urbanistes-physiques : celui de faciliter et d’optimiser les flux, échanges, ressources, interactions de la ville intelligente. Focus sur le rôle de ces urbanistes 4.0 dans la révolution urbaine provoquée par le développement des véhicules autonomes :

LA NECESSAIRE ADAPTATION DES VEHICULES AUTONOMES À L’ESPACE URBAIN (ET VICE-VERSA)

L’essor des voitures autonomes pose de nombreux défis. Des défis technologiques et physiques qui attendent les urbanistes dans la manière dont ces véhicules sont connectés à leur environnement et dont l’environnement peut s’adapter à eux. L’enjeu, dans la ville intelligente de demain, est de les intégrer au mieux dans une expérience urbaine fluidifiée.

Plusieurs niveaux de conduite se distinguent, d’une conduite assistée à une conduite totalement automatisée. Pour chacune de ces technologies, les urbanistes sont à la manœuvre. Le valet de parking automatisé permettra ainsi aux véhicules de déposer leurs passagers et d’aller se garer loin des centres villes ou même de ne plus se garer si la voiture est partagée. À la clé, un gain d’espace considérable par la suppression d’immenses zones aujourd’hui dédiées aux parkings automobiles. La ville devra donc s’adapter aux véhicules autonomes ; pour autant, les infrastructures ne sont pas encore prêtes à les accueillir. Les besoins en routes communicantes, signalisation connectée ou systèmes de cartographie se font pressants pour les urbanistes physiques, car la technologie des véhicules autonomes avance à grands pas, comme en témoigne les quelques exemples cités ci-dessous.

Degré de conduite automatisée Conduite Assistée

Soutien au conducteur

Conduite partiellement automatisée

Supervision permanente du conducteur 

Conduite automatisée très élevée ou totale

Supervision réduite ou nulle du conducteur

Types de technologie Freinage d’urgence (2010)  Assistant embouteillage (2015)  Pilote d’embouteillage (2018)
Parking à distance (2015) Integrated cruise assist (2017) Pilote autoroute (2020)
Valet de parking automatique (2018) Assistant autoroute (2019) Robotaxis (2021) 
    Pilote urbain (2026) 

Source : Données Bosch/ESSCA/MegaCitiesInstitute, 2017

 

De la même manière, les urbanistes facilitent également le développement et l’intégration de ces véhicules à la vie urbaine en cherchant à les adapter à la voirie et à l’espace urbain. De véritables villes fantômes sont créées de toutes pièces afin de tester l’intégration de ces technologies à l’espace urbain, à l’instar de M-City dans le Michigan. La Corée du Sud prévoit à son tour d’inaugurer K-City en octobre prochain, reproduisant un environnement urbain en conditions réelles de circulation afin de tester des véhicules autonomes. Irruptions intempestives de piétons, ronds-points et simulations d’interactions dans des cas de conduites irrationnelles (pour de grandes agglomérations comme Paris) sont ainsi testées en conditions réelles, et peuvent donner lieu à une adaptation des algorithmes pour la mise en place de programmes de conduite « osée »[3].

 

LES URBANISTES FACE AUX QUESTIONS DE RESPONSABILITE

Dans un environnement de conduite parfois irrationnel, les urbanistes travaillent également à l’adaptation des politiques urbaines. Les accidents mortels intervenus en Californie, dont le dernier en date en Juillet 2016, ont mis en lumière la complexité juridique des responsabilités liées aux accidents avec des véhicules autonomes dans l’espace urbain : le responsable est-il le constructeur, le passager ou un élément de l’environnement ? Que vaut la défense d’un automobiliste en voiture classique face au constructeur d’une voiture autonome si celui-ci est responsable ? Peut-on imaginer des boîtes noires dans les voitures autonomes comme dans les avions ? Un véhicule autonome qui ne peut pas éviter un impact humain choisirait-il de percuter telle ou telle personne ? Les réponses à ces questions se trouvent à la fois dans les algorithmes guidant ces véhicules mais également dans l’espace urbain. L’urbaniste-physique travaille à la réduction des risques en adaptant la ville intelligemment. Par exemple, restreindre, dans un premier temps, la circulation de véhicules autonomes sur des routes « fermées » qui leur seraient réservées. Pourquoi ne pas réserver des autoroutes aux seuls véhicules autonomes par exemple ?

Le développement d’algorithmes a permis à ces véhicules de s’autonomiser, en lui indiquant quelles décisions prendre suivant les données recueillies dans son environnement immédiat. Des urbanistes travaillent à l’exploitation des données par les véhicules : des données qui sont collectées à la fois par les capteurs mais également auprès des jeux de données mis en ligne par tous les acteurs du transport et de la ville afin d’améliorer l’expérience urbaine. De l’exploitation de ces données, les urbanistes dont le travail s’apparente à des data analysts, forment les algorithmes en question. Pour autant, comme le rappelle la mathématicienne Cathy O’Neil dans son livre résolument sceptique Weapons of math destruction, il ne faut pas oublier que « les algorithmes sont des opinions formalisées dans du code ». Par conséquent, la formation des algorithmes de conduite des véhicules autonome implique tous les urbanistes comme les responsables publics. Ces derniers tentent donc eux-aussi d’anticiper ces pratiques et ces questions éthiques : la Gendarmerie Nationale a ainsi établi à Cergy-Pontoise un Observatoire Central des Systèmes de Transport Intelligents aux allures de centre de R&D ultramoderne[4].

 

LE RÔLE CENTRAL DE LA DONNEE DANS LE TRAVAIL DE L’URBANISTE

Les données jouent un rôle-clé dans le développement des voitures autonome en ce qu’elles permettent de mieux aménager l’espace urbain et d’adapter les algorithmes guidant les véhicules.

Comme l’indique André Santini, Maire d’Issy-les-Moulineaux, « on parle même d’urbanisation de nos systèmes d’information pour maîtriser les flux de données auxquelles nous devrons faire face dans les toutes prochaines années »[5]. En effet, le volume des données urbaines à intégrer et la complexité de leur analyse et de leurs interactions croissent exponentiellement, pouvant agir à la fois comme un enabler pour des nouvelles technologies ou comme un sujet bloquant pour certaines collectivités.

L’accès à ces données et la sécurité des systèmes embarqués sont des sujets sensibles, sur lesquels urbanistes informatiques et experts en cybersécurité sont très attendus. En 2016, deux professionnels sont ainsi parvenus à prendre le contrôle à distance d’un Jeep Cherokee afin de prouver sa vulnérabilité. Ces risques de prise de contrôle de véhicules par des hackers ont donc déjà été prouvés et font l’objet d’une attention particulière des services de Gendarmerie[6] et des urbanistes informatiques travaillant sur les futurs modèles de voitures autonomes.

La ville a toujours été organique, dans l’interdépendance de ses quartiers, de ses populations, de ses activités. Elle intègre désormais un réseau informatique collaboratif et suit un processus de « smartization » [7] dont les voitures autonomes sont un témoin éclairant. La ville est désormais hybride :  Eric Swyngedouw la qualifie de « cyborg », mi- métabolisme, mi- machine. Les métiers qui construisent la ville intelligente sont, de la même manière, devenus interdépendants. Connectée par ses réseaux physiques tout autant que par ses systèmes d’information, la ville doit organiser ses flux de personnes comme elle organise ses applicatifs ; elle doit appréhender les complexités sociales comme elle pense les interdépendances logicielles. Cette complémentarité va jusqu’à l’homonymie de ces deux métiers d’urbanistes physiques et informatiques. Une complémentarité indispensable lorsqu’il s’agit de piloter une révolution comme celle de la voiture autonome.

 

 

[1] http://cdn-europe1.new2.ladmedia.fr/var/europe1/storage/images/europe1/technologies/apres-un-accident-uber-suspend-ses-essais-de-voiture-autonome-3195416/38082581-1-fre-FR/Apres-un-accident-Uber-suspend-ses-essais-de-voiture-autonome.jpg

[2] http://www.robots-et-compagnie.com/wp-content/uploads/2016/09/Voiture-autonome-32.jpg

[3] https://rslnmag.fr/cite/vehicules-autonomes-ou-en-est-on-reellement/

[4] https://www.industrie-techno.com/la-gendarmerie-veut-prevenir-les-cyberattaques-des-vehicules-connectes.41991

[5] https://rslnmag.fr/cite/smart-city-issy-les-moulineaux-andre-santini-numerique-iot/

[6] https://www.industrie-techno.com/la-gendarmerie-veut-prevenir-les-cyberattaques-des-vehicules-connectes.41991

[7] http://claude-rochet.fr/smartization/

Adrien Lafon

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