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Après Brétigny, quelle maintenance du réseau ferroviaire français ?

Deux ans après l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge survenu  le 12 juillet 2013 – bilan de sept morts et des dizaines de blessés – les rapports émanant des enquêtes judiciaire et technique mettent en cause la maintenance du réseau ferré français. Celle-ci serait à l’origine de la défaillance d’une pièce métallique qui a causé le déraillement du train. Quelles sont les conséquences de cet événement pour la maintenance ferroviaire en France et pour son unique gestionnaire, le groupe SNCF ? Quels sont les risques à voyager sur les 2 400 km de voies (sur un total de 30 000), où la circulation des trains est ralentie en raison de leur vétusté ?

Des constats édifiants issus des différentes enquêtes

Deux types d’enquêtes ont été lancées suite à l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge.

La première enquête, technique, est menée par le Bureau d’Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA-TT), et a fait l’objet d’un rapport publié le 18 septembre dernier. Dans ce document, Worker cutting tracks for maintenancele BEA-TT souligne que plusieurs facteurs managériaux, organisationnels et humains ont probablement contribué au déraillement. Il précise également que le vieillissement général du réseau ferroviaire a entraîné une multiplication des interventions de maintenance de la voie effectuées dans l’urgence pour faire face aux besoins de l’exploitation, et a ainsi pu conduire à différer certaines tâches considérées comme secondaires. La représentation de l’état des voies par les agents en a été altérée.  Le directeur du BEA-TT a même pointé un « problème de culture collective » au sein de la SNCF lors de la publication du rapport intermédiaire, sous-entendant que la sécurité du réseau n’est pas traitée de manière optimale par la SNCF et ses salariés.

La seconde enquête,  judiciaire, est toujours en cours. Ses conclusions sont inconnues à ce jour. Cependant, la divulgation dans la presse des rapports d’expertise ferroviaire et métallurgique en juillet 2014 vient confirmer que la catastrophe ferroviaire serait due à un suivi de maintenance défaillant, comme affirmé par le rapport du BEA-TT.

Des recommandations fortes sur le métier de la maintenance

Le BEA-TT a identifié plusieurs recommandations pour parvenir à améliorer et sécuriser la maintenance des infrastructures ferroviaires en France, qui incombe à SNCF Réseau.

La première concerne la réalisation d’audits par des tiers externes dans le but de vérifier l’âge moyen du réseau et l’adéquation des moyens engagés avec les objectifs de sécurité de la SNCF.

La seconde demande de mener des contrôles réels des équipements surveillés ou entretenus, pour évaluer la pertinence des règles de maintenance et la qualité de leur mise en œuvre sur le terrain.

Surtout, la dernière exhorte la SNCF à améliorer la politique d’affectation des cadres dans les établissements en charge de la maintenance de l’infrastructure ferroviaire. Cela nécessite une meilleure répartition des cadres expérimentés et non-expérimentés dans les centres de maintenance et une diminution du turn-over.

Si ces mesures semblent être une évidence, elles n’ont été prises que récemment. Le BEA-TT tente ici d’éviter que ne se reproduise la prise en charge de la surveillance du réseau de Brétigny par un jeune ingénieur de 24 ans. Il encadrait 19 agents de maintenance et avait effectué la dernière inspection, huit jours avant le déraillement. Aucune anomalie n’avait alors été signalée lors de cette visite sur site. Si la qualité des contrôles est mise en avant par le rapport et non les responsabilités individuelles, il est légitime de s’interroger sur une éventuelle erreur humaine dans ce cas.

Une intervention immédiate de l’Etat

Dès le lendemain de la catastrophe, le Comité de suivi de la sécurité ferroviaire a été créé par le secrétaire d’État au Transport, Alain Vidalies. Composé des principaux acteurs du rail en France, il a pour mission de renforcer le suivi de la politique de sécurité du transport ferroviaire. Plusieurs actions ont été lancées lors des deux réunions de ce comité qui se sont déroulées en 2015.

Ainsi la SNCF s’est vue confier la mission d’élaborer les documents techniques de sécurité du réseau ferré national. Ces documents seront diffusés à l’ensemble des entreprises ferroviaires (Eurostar, Thello, exploitants de fret, …), qui devront les mettre en œuvre sous leur propre responsabilité.

De plus, l’ensemble des exploitants ferroviaires ont l’obligation de transmettre l’intégralité de leurs événements de sécurité à l’autorité française de sécurité ferroviaire, l’EPSF (Établissement Public de Sécurité Ferroviaire).  Celle-ci va d’une part renforcer l’analyse des risques et le retour d’expérience issu des événements et d’autre part mettre en place une nomenclature des événements de sécurité partagés avec l’ensemble des acteurs.

Enfin, les protagonistes s’engagent pour la mise en œuvre et le suivi des recommandations du BEA-TT afin d’éviter de nouveaux accidents. Un suivi renforcé de la part de l’EPSF a également été institué pour contrôler cette mesure.

Un plan d’actions volontaire mis en œuvre par la SNCF

Mise en examen pour homicides et blessures involontaire dans le cadre de l’information judiciaire, la SNCF a pris plusieurs mesures pour améliorer la maintenance du réseau ferroviaire français et éviter une catastrophe similaire. Il en va de son image vis-à-vis du public.

En octobre 2013, SNCF et Réseau Ferré de France (aujourd’hui devenu SNCF Réseau) ont lancé le programme VIGIRAIL, doté de 410 millions d’euros sur 4 ans. Il a pour objectifs de renforcer la sécurité des aiguillages et de moderniser la maintenance. Afin de devenir plus efficiente,  la maintenance est en pleine évolution : refonte des formations à base de nouvelles technologies, renforcement et simplification des référentiels de maintenance, traçabilité à 100% de la surveillance des infrastructures, analyse et contrôle des rails par vidéo, et mise en place d’une plateforme Alerte-Express pour la remontée d’information par les agents de maintenance.

Depuis début 2015, la SNCF a également élaborée la démarche PRISME de management de la sécurité. Cette traduction managériale de la politique générale de sécurité de l’entreprise s’adresse à l’ensemble des agents. Elle se déploie sur plusieurs axes : le développement de comportements proactifs, la maîtrise des interfaces entre les différentes entités, la simplification des procédures ou encore la dotation d’équipements innovants à la pointe du digital.

De manière plus générale, le budget pour renouveler le réseau est quant à lui passé de 1,1 milliard à 2,5 milliards d’euros. Cette augmentation a permis de doubler la longueur des voies renouvelées chaque année (1 000 kilomètres contre 500 auparavant). De plus, en réponse aux recommandations du BEA-TT, la SNCF a mis en place une nouvelle politique de ressources humaines pour qu’un cadre de maintenance soit dans l’obligation désormais de rester au moins trois ans sur son poste. Et en Ile-de-France, les jeunes recrutés devront y rester au minimum dix ans.

L’accident de Brétigny-sur-Orge a provoqué une véritable prise de conscience concernant l’état général de la maintenance d’un réseau ferroviaire français bien âgé. Dans l’urgence, des moyens considérables ont été déployés pour relever son efficience sécuritaire. Mais devant le retard accumulé et le niveau conséquent de voies dégradées, de nombreuses années seront peut-être nécessaires avant de parvenir à une politique standard de maintenance.

Florian Lambert

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