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Comment Didi, le « Uber Slayer », a réussi à dominer le marché chinois du VTC

Le 1er août 2016, la société de VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) Didi Chuxing, leader en Chine avec 1,43 milliards de trajets en 2015, a racheté l’activité d’Uber Chine après un an et demi de concurrence acharnée et de rudes négociations, portant la valeur de Didi à $35 milliards. Cette annonce de rachat a particulièrement marqué les esprits à cause de la notoriété d’Uber qui est connue pour sa croissance rapide (présente sur 6 continents et dans 500 villes), son excellente valorisation financière ($68 milliards) ainsi que pour sa férocité envers les concurrents ; elle est vue comme le leader mondial incontesté, cependant ses adversaires sont bien décidés à se battre pour leurs parts de marché et Didi Chuxing en est la preuve.

Revenons sur les éléments principaux de cette guerre économique et sur les possibilités d’avenir pour ces deux ex-concurrents.

La Chine, un eldorado de 600 millions d’utilisateurs de smartphones

La Chine est un marché convoité par les géants informatiques américains et il semblerait que l’équation du succès reste à résoudre. Amazon, eBay, Google, ou encore Twitter sont quelques exemples d’entreprises qui n’ont pas réussi à pénétrer le marché chinois de façon pérenne et qui ont dû se retirer.

Entre régulations, pouvoir politique, ou encore besoins structurellement différents, s’introduire sur le marché chinois du digital est un challenge qu’aucune des grandes entreprises américaines n’a réussi à relever. L’arrivée d’Uber en 2014 a enfin laissé entrevoir la possibilité d’un succès durable : avec des chiffres de croissance élevés, elle a réussi à se positionner en leader dans certaines grandes villes chinoises, et a atteint au niveau national des parts de marché de 10 à 15%.

Uber : une démarche minutieusement étudiée qui se heurtent à certaines limites

Uber a réalisé des efforts financiers colossaux en investissant 2 milliards de dollars sur 2 ans principalement dans le but de subventionner les trajets des usagers, augmenter les commissions des chauffeurs et ainsi s’assurer un volume de trajets très conséquent. Par ailleurs, une réelle approche stratégique du marché chinois a été élaborée. Uber a appris des erreurs de ses prédécesseurs en postant des équipes locales, avec une grande autonomie, capables de prendre des décisions rapidement et qui puissent développer des stratégies sur mesure. Travis Kalanick, le patron et fondateur de Uber, a ainsi multiplié les rencontres avec des dirigeants chinois dans le but de faciliter les relations de son entreprise avec les autorités. Un partenariat très stratégique a été mis en place avec Baidu, le « Google chinois », qui entretient des liens très forts avec le gouvernement d’une part, et dont le système de cartographie est largement utilisé par la population d’autre part, relayant ainsi le service Uber.

Tous ces efforts n’ont malgré tout pas suffit à enrayer l’expansion de son concurrent chinois et Uber s’est finalement résolu à transférer ses activités en Chine à Didi contre environ 20% de ses parts (soit environ $7 milliards) et un investissement de $1 milliard de la part de Didi dans Uber global. Les deux entreprises siègent donc au comité l’une de l’autre, sans possibilité de vote mais en espérant bien en apprendre toujours plus sur les autres marchés, concurrents, et stratégies long-terme.

Didi : excellente maîtrise du marché, gestion du timing, et connexions avantageuses

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La montée en puissance de Didi est, elle, principalement basée sur le talent et la volonté de son patron, Cheng Wei. D’abord nommée Didi Dache, l’entreprise a réussi à attirer Tencent, puissant conglomérat chinois de télécoms et médias, dans son panel d’investisseurs. Ensuite, Didi s’est rapproché de Kuaidi en 2015, son concurrent direct, pour former Didi Kuaidi dont la négociation a été particulièrement bien menée puisque Cheng Wei a obtenu comme condition sine qua none sa nomination à la tête de la nouvelle entité ainsi que 60% de ses parts. A nouveau, Cheng Wei a su prendre des décisions stratégiques puisque Alibaba, premier site de e-commerce chinois, en tant qu’investisseur de Kuaidi, s’est ajouté à Tencent et est venu renforcer les armes de Didi Kuaidi. Le succès florissant en a attiré d’autres, notamment Apple en mai 2016 qui a investi $1 milliard dans la start-up, occasion de changer à nouveau de nom : Didi Chuxing, sous lequel on connait l’entreprise aujourd’hui.

Des partenariats stratégiques, permettant des levées de fonds importantes et rapides, combinés à une très bonne connaissance du marché chinois ont permis à Didi de tenir tête à Uber et de l’épuiser dans ses efforts financiers. Les négociations sur le rapprochement des deux entreprises ont duré environ 1 an et demi et ont été difficiles, d’autant plus que dans cette guerre des prix, toujours plus féroce, aucune des deux entreprises n’a jamais été rentable. L’aboutissement des négociations entre les deux groupes est d’ailleurs tombé à pic puisque quelques jours plus tôt, le gouvernement chinois a interdit ce système de « vente à perte ».

Globalement, Uber n’a pas commis d’erreurs majeures, son désavantage vient d’une question de timing (entrée tardive sur le marché), avoir manqué une opportunité de rapprochement quand le marché ne comptait encore que trois acteurs principaux (Didi Dache et Kuaidi à l’époque), ou encore le fait que Didi ait pu profiter de connexions avantageuses telles que des politiques pro-entreprises chinoises ou du soutien de Tencent qui a banni les publicités Uber de son réseau social WeChat, largement utilisé en Chine.

Perspectives d’avenir pour les deux géants, en Chine et ailleurs

Même si Didi a maintenant le champ libre sur son marché, cela ne signifie pas que les choses seront plus simples. En effet, l’entreprise doit maintenant être rentable et dégager les profits attendus par les investisseurs en ne subventionnant plus les trajets des usagers et en réduisant les marges des chauffeurs. Or, les consommateurs chinois sont particulièrement exigeants, phénomène dû à la très forte digitalisation et compétition féroce qui règnent sur les marchés. Aujourd’hui, la stratégie de cette entreprise florissante se porte sur des projets tels que la voiture autonome (comme Uber), ou encore les problématiques des transports en commun et les vélos. Elle a pour ambition de solutionner les problèmes de transports (congestion, pollution), particulièrement préoccupant en Chine.

De même, Uber essaie de capitaliser sur ce revers, notamment en siégeant au comité de Didi, dont les partenaires VTC étrangers ne sont autres que Ola (Inde), Lyft (Etats-Unis), et Grab (Asie du Sud-Est), soit les concurrents directs de Uber sur leurs marchés respectifs, ce qui est donc l’occasion de jauger ses adversaires de près.

Le rapprochement de Didi de ces entités (se traduisant par une permutation automatique vers l’application de VTC locale – Ola, Lyft, ou Grab – lorsque les utilisateurs sont à l’étranger) a été réalisé dans le but de contrer Uber sur son propre terrain, à savoir les Etats-Unis, et au-delà, les marchés émergents qu’il convoite. De plus, même si 2 milliards de dollars ont été dépensés dans la course aux utilisateurs chinois, Uber ressort avec une part importante de la société Didi Chuxing et un investissement en equity conséquent. « L’échec » d’Uber sur le marché chinois reste donc fortement à nuancer.

Sophie5CHM1DT

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