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Google Smart City à Toronto : Un défi technologique et citoyen

Toronto, ville symbole de la croissance canadienne, s’est lancée dans un des plus ambitieux projets mondiaux de Smart City. Celle-ci sera implantée à Quayside, une friche industrielle de 5 hectares abandonnée depuis des années et qui présente l’avantage d’être au bord du lac Ontario et non loin du centre-ville.

Le projet Quayside est devenu aujourd’hui pour le gouvernement canadien l’oriflamme de l’innovation urbaine. Il a été lancé en fanfare fin 2017 sous le patronage bienveillant du Premier Ministre canadien, Justin Trudeau, qui veut en faire la fierté du pays, un exemple pour le monde de créativité durable. Et le gouvernement, à travers deux ministères et les autorités provinciales de Toronto, y veille de très près. Mais le projet Quayside ne fait toutefois pas l’unanimité et l’opposition conjuguée de groupements de citoyens, d’associations de protection des droits de l’homme et de politiques risque de retarder de plusieurs années sa réalisation concrète.

Pour réaliser ex nihilo le futur quartier Quayside, la ville de Toronto a créé une instance municipale dédiée composée de nombreux experts, de scientifiques et d’élus : Waterfront Toronto.  Celle-ci a lancé un appel d’offres mondial, remporté en 2017 par Sidewalk Labs, une filiale d’Alphabet (la maison mère de Google) dédiée à l’urbanisme.

L’ambition du tout numérique

Sidewalk Labs propose de construire une ville “tout numérique”, avec une idée conductrice simple : plus on connaît les besoins des habitants, mieux on peut construire la ville idéale, adaptée à leurs besoins. Le projet a 3 objectifs majeurs : une ville sûre, économe et écologique.

Ce quartier « intelligent », comme l’appelle Sidewalk Labs, où seront construits des immeubles d’habitation, quelques bureaux et commerces ainsi qu’une école, sera truffé de capteurs. Sidewalk Labs se propose ainsi de rassembler et analyser un maximum de données numériques pour rendre la ville plus facile, moins coûteuse, plus créatrice d’emplois, plus économe en énergie, plus durable et plus sûre. Ainsi, tous les immeubles comme les espaces publics de Quayside seront équipés de capteurs et de caméras. Grâce aux données transmises par ceux-ci, tout le quartier sera piloté numériquement en fonction des modes de vie et des besoins de ses habitants. Sidewalk Labs compte ainsi mesurer la densité du trafic automobile, le niveau du bruit dans les rues, la quantité et le temps des déplacements, la qualité de l’air ou encore l’énergie utilisée pour pouvoir optimiser le tout en temps réel. La logique est de construire la ville non plus autour des voitures, comme l’ont été de nombreuses villes américaines ces dernières décennies, mais autour des habitants.

Réduire le temps et les contraintes de la mobilité est un des premiers objectifs, ceci en jouant autant sur le mode de transport que sur la configuration des rues. L’idée globale est que les règles et la composition physique de chaque rue puissent être modifiées en fonction du temps et de la fréquentation, afin de fluidifier les parcours et maximiser la satisfaction des Torontois. Pendant les heures de pointe, priorité aux transports en commun. Pendant les heures creuses et les jours fériés, priorité à la tranquillité et aux loisirs des habitants. A ces moments-là, les voies de circulation ouvertes aux voitures avec chauffeur deviendraient des espaces publics propices à la détente. Par exemple, les voies de circulation devraient être parcourues par des LED qui, allumées, matérialiseraient un élargissement ou un rétrécissement des chaussées en fonction de leur congestion. Les couloirs de circulation changeraient donc en fonction du trafic. Comme Toronto fait face à de forts épisodes neigeux en hiver, il est aussi question de chaussées auto-chauffantes pour empêcher la paralysie de la circulation. Les trottoirs le seraient également pour être moins glissants.

A cela s’ajoutent des services de déplacement à la demande avec des applications dédiées au quartier, des vélos à disposition, des télésièges pour les courts trajets. Des trottinettes électriques seraient équipées d’un logiciel pouvant limiter leur vitesse en fonction du type de rue sur laquelle elles circulent : par exemple 8 km/h sur les voies étroites et 20 km/h sur les axes plus larges, contribuant de cette façon à une plus grande sécurité. Comme l’écrit Willa Nang, responsable de la mobilité pour Sidewalk Labs, « la rue sera à nouveau un lieu de promenade, de jeu et de circulation en toute sécurité pour tous« .

Quayside se veut une vitrine mondiale des innovations technologiques au service de l’environnement. L’objectif y est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 89%. Cette lutte contre le dérèglement climatique passera aussi par : des tunnels souterrains réservés aux poids lourds, la collecte et le recyclage des déchets et enfin des bâtiments à énergie passive. Tous les capteurs permettront de réguler la dépense énergétique de chaque espace public.

Gouvernance des données : la peur va-t-elle freiner l’essor des villes intelligentes ?

L’enthousiasme de Dan Doctoroff, le PDG de Sidewalk Labs, n’est toutefois pas partagé par tous. L’ambition du projet effraie. Des collectifs d’habitants de Toronto s’inquiètent du « bonheur numérique » qui semble compromettre les libertés des futurs occupants. La ville sera truffée de capteurs et Sidewalk Labs a beau promettre que tous les renseignements collectés seront anonymisés à la source, avec un système de cryptage contrôlé par les autorités fédérales, les sceptiques et les opposants se multiplient. Au-delà même des craintes individuelles, naissent des polémiques politiques sur la question de la gouvernance numérique de la cité. « Il existe un risque de “ré-identification” des individus et un risque encore plus inquiétant de profilage des comportements de certaines communautés » s’insurge Teresa Scassa, qui a démissionné du comité consultatif de stratégie numérique de Waterfront Toronto, l’instance municipale précisément créée pour décider du futur de Quayside et qui l’a attribué à Sidewalk Labs au terme d’un appel d’offres. Et elle n’est pas la seule. Les démissions se multiplient à Waterfront Toronto. On demande avec virulence qui contrôlera les données numériques sensibles des résidents collectées par les capteurs. On critique surtout une gouvernance numérique qui serait confiée par les pouvoirs publics à une entreprise privée.

Les crispations sont telles autour du futur Quayside que le gouvernement canadien vient de demander à Waterfront Toronto de soumettre le projet Sidewalk Labs à de nouveaux experts scientifiques et politiques. La municipalité doit aussi demander leur avis aux habitants via une consultation publique. Un site dédié interactif a été créé pour sonder les torontois sur leurs interrogations mais aussi sur leurs attentes pour un futur quartier.

Récemment, un sondage commandé par les autorités fédérales (Environics Research survey)  montre que les réticences diminuent.  Ainsi  54% des Torontois se déclarent favorables à un projet technologique de Smart city dans leur ville et seulement 11% y sont formellement opposés.

Le défi pédagogique reste de taille pour Sidewalk Labs qui doit non seulement attirer des habitants et des entreprises, mais également atténuer les mouvements de contestation. Elle multiplie les annonces rassurantes, les films pédagogiques et fait même des expérimentations locales pour convaincre du bien-fondé de son projet. Ainsi, un quartier de Toronto a été équipé gratuitement de signalisations modulables innovantes qui facilitent la circulation en fonction du nombre de véhicules attendus et l’expérience est bien accueillie.

On saura fin 2020 si le projet obtiendra le feu vert final pour une réalisation concrète. Quoi qu’il en soit, l’expérience du projet Quayside marquera une étape importante dans le développement des Smart cities. On en retiendra que la gouvernance des données et la qualité des services apportés par la smart city sont les deux clefs pour convaincre les futurs usagers. Les entreprises ainsi que les collectivités impliquées dans de tels projets doivent donc y apporter une attention cruciale. Impliquer le citoyen dès le début du projet est primordial pour répondre au mieux à ses besoins et lever ses inquiétudes.

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