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Le SAATM fera-t-il décoller le transport aérien africain ?

A l’occasion du 30e sommet de l’Union africaine le 28 janvier dernier, la Commission a lancé le Marché Unique Africain du Transport Aérien (SAATM). Un fait historique qui vise à libéraliser l’aviation civile sur le continent africain. Quelles retombées attendre d’un tel accord ? Quelles réformes structurelles seront nécessaires à sa mise en application ?

Le ciel ouvert : Un projet ambitieux et moderne à l’échelle continentale

Voyager en avion d’un pays africain à un autre, comme en témoigneront ceux qui ont l’habitude de se déplacer dans les airs, est souvent laborieux, coûteux et fastidieux en raison de mauvaises liaisons aériennes découlant de politiques protectionnistes mal avisées. Les voyageurs de Freetown (Sierra Leone) doivent parfois passer par Abidjan (Côte d’Ivoire) puis Dakar (Sénégal) avant d’arriver à Banjul (Gambie).

Difficultés de trajet aérien en Afrique - crédit Google maps
Difficultés de trajet aérien en Afrique – crédit Google maps

Cet arrangement manifestement compliqué et problématique a laissé les pays africains incapables d’explorer le plein potentiel économique du marché naissant de l’aviation civile sur le continent. En effet, aujourd’hui, 80% du trafic aérien en Afrique est assuré par des compagnies aériennes non africaines. Quant aux compagnies aériennes africaines, elles transportent moins de 3% du trafic aérien mondial bien que le continent représente plus de 17% de la population mondiale. Le SAATM vise à créer un marché commun et à y libéraliser l’aviation civile. Un projet en mesure de faire avancer concrètement l’intégration économique du continent. L’union Africaine se félicite des multiples répercussions attendues sur le continent.

Quelles retombées attendre de la création d’un marché unique aérien sur le territoire africain ?

Bénéfices du SAATM - crédit SABC
     Bénéfices du SAATM – crédit SABC

Les enjeux sont avant tout d’ordre économique, le secteur de l’aviation en Afrique représente actuellement plus de 72 milliards de dollars et 6,8 millions d’emplois. Néanmoins il reste d’après l’Agence Internationale du Transport Aérien (IATA), encore sous exploité. En effet selon leur dernier communiqué, lever les barrières commerciales dans le transport aérien entre seulement 12 pays africains pourrait générer 9 millions de voyages supplémentaires, libérant 1,3 milliard de dollars d’activité économique supplémentaire et créant 155 000 nouveaux emplois.

Il n’est pas uniquement question de retombées économiques mais aussi d’intégration et de croissance socio-économique du continent puisque la libéralisation va développer la connectivité entre les pays africains et la réduction des prix des billets d’avion.  Cette ouverture du marché va alors stimuler les investissements transfrontaliers dans les industries de production et de services, aboutissant ainsi à la création de 300 000 emplois directs supplémentaires et deux millions d’emplois indirects. De plus, cela permettra d’anticiper le développement du transport aérien en provenance et à destination de l’Afrique qui devrait plus que tripler au cours des 20 prochaines années, passant de 75 millions de passagers en 2016 à plus de 240 millions de passagers par an d’ici 2035.

Ce projet « ciel ouvert » apparait aujourd’hui comme une initiative inédite et ambitieuse pour le continent africain mais ce n’est pas une idée nouvelle, elle s’appuie sur les accords de la Décision de Yamoussoukro de 1999. Cette décision devait permettre une libéralisation complète de l’accès au marché aérien entre les États africain et le libre exercice des droits de trafic, néanmoins sa mise en œuvre a connu des difficultés liées notamment à des politiques protectionnistes.

Le lancement du SAATM, près de deux décennies après l’adoption de la Déclaration de Yamoussoukro, marque une étape importante pour accélérer la mise en œuvre complète de la Déclaration mais met en lumière les difficultés de réformer à l’échelle continentale.

Une mise en place qui implique des réformes structurelles

L’accord ne fait pas l’unanimité et inquiète d’abord plusieurs compagnies aériennes nationales du continent. Leur crainte : que la libéralisation du ciel leur fasse perdre leurs activités, et qu’elle ne profite qu’à quelques grandes compagnies aériennes déjà bien implantées sur le continent. Certains industriels et opérateurs de l’aviation africaine parlent d’un véritable « piège » causé par les différences de politiques de travail, droits de douane, tarifs et taxes aéroportuaires…

Ainsi, pour ne pas vivre la même déconvenue qu’en 1999 et permettre au continent africain de connaitre un développement important, des réformes s’imposent sur plusieurs domaines.

  • Uniformiser les marchés locaux

À ce jour, 23 pays africains sur 55 ont souscrit au SAATM. La mise en place effective de cette initiative impose l’instauration d’un grand nombre de textes assurant une concurrence loyale, la protection des consommateurs, les standards de sécurité et la suppression d’accords bilatéraux. « En Afrique, chaque pays protège ses propres compagnies, ce qui rend toutes négociations très difficiles. Par exemple, ce que nous payons pour atterrir au Ghana est différent de ce qu’Africa World Airlines paie, car ils opèrent depuis le Ghana », explique un directeur de compagnie aérienne, anonyme, dans la presse africaine. Définir un cadre administratif sera une bonne première étape vers le SAATM mais ne consistera pas l’apanage des conditions de son succès.

  • Adopter une stratégie de gestion concurrentielle de la part des compagnies locales

Ouvrir le marché offre de multiples possibilités de développement et expose par ailleurs les compagnies nationales à une concurrence internationale. Les compagnies africaines vont devoir optimiser leur gestion afin d’être compétitives au niveau mondial.

Crédit Pascal Maillot
                    Crédit Pascal Maillot

En effet, en plus d’évoluer dans un environnement globalement défavorable (manque de transparence, taxes et redevances aéroportuaires élevées, risque terroriste, instabilité politique, etc.) certaines compagnies connaissent de réelles difficultés de gestion interne. L’exemple de Camair-co est parlant : alors que la norme est de 70 employés par avion, la compagnie dispose de 145 employés par avion.

Face à cette situation, il est impossible pour la compagnie d’être rentable. Le clientélisme dans les nominations des dirigeants des compagnies et leurs staffs est également à l’origine des manquements au niveau de la gestion des compagnies aériennes africaines.

Ainsi, les compagnies doivent opérer de profondes restructurations afin d’être compétitives face aux concurrents mondiaux.

  • Investir dans les infrastructures pour accompagner la croissance du secteur

L’uniformisation du marché et la restructuration des compagnies locales doivent être accompagnées d’un plan de développement des infrastructures africaines (PIDA). Ce plan est au cœur de l’Agenda de l’Union africaine. Il s’agit d’un programme à l’échelle du continent pour le développement des infrastructures régionales et continentales prioritaires dans les domaines des transports, de l’énergie, des eaux transfrontalières et des TIC. Il constitue la 3ème mesure phare qui devra être mise en place pour le développement du STAAM. Cette initiative est primordiale afin d’accompagner le développement du trafic aérien civil africain qui devrait tripler au cours de 20 prochaines années.

En définitive, la création du Marché Unique Africain du Transport Aérien suscite un immense espoir pour l’Afrique d’un point de vue économique et social, mais pour que cet accord devienne une réalité, les gouvernements devront agir rapidement pour créer un cadre réglementaire favorable, rendre compétitives les compagnies aériennes qui se terrent derrière leurs protections et assurer le développement des infrastructures de transport.

Le défi réside alors dans la capacité des gouvernements à se coordonner et à passer d’une vision nationale protectionniste du marché aérien à une vision panafricaine.

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