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Les principaux freins au développement des biocarburants aéronautiques

Le 28 mai 2019, la compagnie aérienne KLM Royal Dutch Airlines annonçait la création de la première usine européenne produisant du biocarburant ou carburant durable à partir de déchets et de résidus régionaux. Ce projet va permettre à la compagnie hollandaise de réduire ses émissions de CO2 de 200 000 tonnes par an à partir de 2022.

Croissance du trafic aérien et enjeux écologiques 

Si le biocarburant est depuis plus de dix ans au cœur des préoccupations du secteur aérien, son utilisation peine à se développer. En 2011, le centre français de recherche aéronautique et spatiale (ONERA) alertait déjà sur l’enjeu d’une maîtrise énergétique du secteur face à une croissance soutenue du trafic aérien et la nécessité de se tourner vers des carburants alternatifs (Etude SWAFEA).

Aujourd’hui, le transport aérien consomme exclusivement du carburant liquide (jet fuel) extrait à hauteur de 6% du pétrole. Avec une consommation mondiale d’environ 360 milliards de litres par an, le secteur contribue à près de 3% des émissions totales de gaz à effet de serre. Un niveau relativement faible comparé à d’autres secteurs mais qui est à mettre en perspective avec la croissance mondiale du trafic aérien de l’ordre de 5% par an, ce qui conduirait à une augmentation de ces proportions, (près de 20% des émissions mondiale en 2050 selon l’IATA).

Source : Etude : Le Transport Aérien en France, en Europe et dans le Monde – PROGEXA

Face à l’urgence climatique, les acteurs industriels et politiques de l’aviation ont décidé de réagir et ont instauré en 2016 un accord global visant à réduire de moitié le taux d’émission de CO2 d’ici 2050. Cet accord, nommé CORSIA, pour Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation, comprend en tout 3 objectifs :

  • Un objectif d’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5% par an jusqu’en 2020
  • Un objectif de plafonnement des émissions nettes de CO2 du transport aérien d’ici 2020, « Carbon Neutral Growth 2020 »
  • Une réduction globale des émissions de CO2 de 50% d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 2005

Ces objectifs ambitieux, au regard du développement continue du secteur, oblige les compagnies aériennes à diversifier leur source d’approvisionnement et à trouver des solutions alternatives à l’usage du carburant fossile.

Outre l’innovation dans l’efficacité énergétique des moteurs d’avion ou l’usage de batterie électrique pour pallier à l’usage de kérosène, les principales recherches se sont focalisées sur les biocarburants ou biojet fuel, qui permettent une réduction de 80% des émissions de CO2 sur le bilan global.

En 2011, l’étude SWAFEA rendait compte de la faisabilité technique du biocarburant comme source alternative d’approvisionnement. Toutefois, peu de projet de production ou d’utilisation de biocarburants ont vu le jour au cours de la dernière décennie. Aujourd’hui, le biocarburant ne représente que 0,04% de la consommation mondiale, et devrait atteindre seulement les 2% en 2025 selon l’ATAG.

Quels sont les freins à l’usage du biocarburant dans le secteur aéronautique ?

1. Les défis économiques 

Le biojet fuel est un carburant liquide issu de la transformation de la biomasse (huiles alimentaires usagées, graisses animales, résidus agricoles…etc.) associé à un carburant fossile (kérosène).

Source : Ecosystèmes et chaines de valeur pour les carburants de demain (Total MS)

Si la technologie pour incorporer de la biomasse liquide dans du carburant fossile est aujourd’hui opérationnelle, l’usage de biojet fuel reste fortement limité. La principale raison est le prix des biocarburants qui est nettement plus élevé par rapport aux carburants fossiles traditionnellement utilisés. Un véritable frein pour les compagnies aériennes qui évoluent dans un secteur extrêmement compétitif où l’augmentation des coûts induirait une augmentation des prix du service.

Le prix élevé des biocarburants résulte des coûts de production, qui sont deux à cinq fois supérieurs à ceux du kérosène. A cela s’ajoute la quantité limitée et volatile des matières premières renouvelables, en raison notamment des aléas climatiques et des usages non-énergétique tel que l’alimentation, impliquant une forte fluctuation des prix de ces ressources.
A l’heure actuelle, les prix élevés de la biomasse et les CAPEX importants nécessaires à la transformation du biojet, ne permettent pas à la filière biocarburant d’être compétitive par rapport au carburant fossile.

Selon Philippe Marchand, responsable du développement des carburants alternatifs chez Total, la réduction des coûts de production (procédés et matière première) devra nécessairement passer par une élévation du niveau de maturité technologique des appareils (moteur/réacteur), une mutualisation des unités de production de biocarburant et une optimisation de la logistique, ce qui permettrait de réaliser des économies d’échelles.

2. Les défis industriels

La technologie nécessaire à la production de biojet existe, étant donné que six biocarburants sont aujourd’hui certifiés par l’organisme international de normalisation ASTM, mais il n’existe pas d’infrastructure et de logistique spécialisée dans ce type de production.
Pour répondre aux engagements écologiques du secteur et à une demande de grande ampleur, il faudrait produire plusieurs millions de tonnes de biocarburant par an. Or les installations industrielles actuelles ne sont pas adéquates et celles envisagées pour la production de biocarburant requièrent des expertises diverses, allant de la collecte de biomasse à la synthétisation des biomolécules en carburant liquide.

Les CAPEX importants et la faible utilisation de biocarburant par les compagnies aériennes, n’encouragent pas les sociétés de production de carburant à investir dans ce type d’installation. Sans un accompagnement politique et juridique incitant les acteurs du transport aérien à se tourner vers le biocarburant il est très difficile d’imaginer sa généralisation dans les prochaines années.

Une réponse collective et politique

Tel qu’il a été envisagé, la baisse des émissions de CO2 dans le transport aérien semble difficile, mais reste jouable. Pour ce faire, il est nécessaire que la réponse soit multiple et implique d’autres acteurs en dehors du secteur aérien afin de couvrir l’ensemble des défis qu’ils soient économiques ou industriels.

Dans un rapport publié en 2015, l’Académie de l’Air et de l’Espace et l’Académie des Technologies, considérait que la France disposait de tous les acteurs et de toutes les compétences pour se positionner sur ce marché et assurer l’industrialisation des biocarburants. En décembre 2017, l’Etat signait avec cinq industriels français (Air France, Airbus, Safran, Suez et Total) un engagement pour créer une filière d’approvisionnement de biokérosène fabriqué à partir de déchets. A l’instar du projet de la compagnie hollandaise KLM, cette réponse collective permettra de mutualiser l’ensemble des expertises nécessaires à la production et à l’industrialisation de biocarburant. De plus, l’implication direct de l’Etat offre la garantie aux porteurs du projet de co-construire avec un partenaire public et de bénéficier d’un cadre politique et juridique incitatif.

La signature de partenariat entre les différents acteurs de la chaine de valeur biocarburant est une solution aux défis économiques et industriels de la filière. Cependant l’émergence du marché des biocarburants dans le secteur aérien ne pourra se faire que lorsque les politiques publiques incitatives seront renforcées et les cadres réglementaires nationaux et internationaux clarifiés.

Ainsi, la Commission Européenne travaille depuis 2 ans sur la révision de la Directive Energie Renouvelable (RED II) intégrant des objectifs d’incorporation spécifiques à ces biocarburants avancés à l’horizon 2030. En France, de nombreux projets, impulsés par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) voient le jour, afin de créer des filières françaises de biocarburants avancés, tel que le projet « BioTfuel » pour la production et commercialisation de biokerosène ou « Futurol » pour la production d’éthanol.

Sources :

https://www.air-journal.fr/2019-05-28-klm-lance-la-production-de-biocarburant-en-europe-5212681.html

https://www.actu-environnement.com/ae/news/biokerosene-carburant-aeronautique-air-france-total-suez-biojet-30320.php4

https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/les-biokerosenes-la-solution-pour-decarboner-laviation

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/ECV%20-%20Biojet.pdf

https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/laeronautique-francaise-serre-les-coudes-pour-faire-face-aux-defis-climatiques-996432

https://www.info-chimie.fr/verrous-economiques-pour-les-biojet-fuels,67532

http://www.fondation-tuck.fr/upload/docs/application/pdf/2018-06/place_des_biocarburants_dans_laviation_-_marchand-jeulan-eychenne.pdf

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/l-aviation-face-au-defi-colossal-de-la-baisse-des-emissions-de-co2-799652.html

David MUSONI

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