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[Interview] Le rôle de la métropole de Toulouse dans le déploiement des bornes de recharges électriques sur son territoire

Nous avons eu l’opportunité de rencontrer Alexia Dalbin, en charge de la mobilité électrique au sein de la métropole de Toulouse depuis 2012. Dans le contexte actuel d’essor de la mobilité électrique, nous souhaitions discuter avec elle de place des collectivités dans le développement de la mobilité électrique individuelle.  

Lors de cette rencontre, nous avons échangé sur la stratégie de déploiement des bornes de recharge sur le territoire de la métropole de Toulouse, sur la réalisation du SDIRVE et sur la difficulté pour les acteurs publics à encadrer le déploiement des IRVE par les acteurs privés. Interview réalisée le 13/05/2022. 

Comment s’est construite votre réflexion sur la mobilité électrique à l’échelle de la métropole de Toulouse ?  

Nous nous sommes intéressés très tôt au développement de la mobilité électrique dans la métropole de Toulouse. Etant en charge de toutes les nouvelles stratégies mobilités de la métropole, je suis en veille depuis 2012.  

 L’aventure a commencé en 2013 par le lancement de deux expérimentations avec l’aide d’acteurs publics et privés (le Groupe CAHORS (industriel), Enedis, EVbox et EDF avec sa filiale Izivia ex Sodetrel).  

  • La première consistait à déployer des bornes de recharges rapides avec des batteries intégrées pour éviter les appels de pic de puissance sur le réseau électrique. A ce moment-là, ce type de borne était encore à l’état de prototype. Certaines sont toujours en activité aujourd’hui. 
  • La deuxième consistait à mettre à disposition des véhicules électriques pour tester l’autopartage en boucle avec des bornes de recharge dédiées. Celle-ci n’a pas rencontré le succès espéré à cause notamment de la crainte des usagers vis-à-vis du peu d’autonomie qu’offraient les véhicules à cette époque.  

Ces expérimentations nous ont permis d’être lauréat du titre des villes électromobiles délivré par l’AVERE-France en 2013. 

Dans la région Occitanie, certaines communes ont délégué leur compétence IRVE aux syndicats d’énergie. En 2015, le syndicat d’énergie de l’Aude – SYADEN a initié une démarche de co-construction à l’échelle régionale, avec plusieurs syndicats d’énergie de la Région et les métropoles de Toulouse et Montpellier, afin de lancer un premier marché de déploiement, d’exploitation et de maintenance de bornes de recharge. Pour la métropole de Toulouse, possédant la compétence sur l’installation des IRVE, rejoindre ce groupement (REVEO) présentait de multiples opportunités : 

  • Opportunité d’exploiter les bornes installées en 2013 ; 
  • Opportunité de bénéficier d’économies d’échelle (mutualisation des coûts d’investissement, de maintenance et exploitation) ; 
  • Opportunité de créer un réseau très large et d’offrir une offre vaste aux utilisateurs, en travaillant sur l’interopérabilité entre les réseaux de bornes de chaque territoire. Le décret sur l’interopérabilité n’est rentré en vigueur qu’en 2017.  

Aujourd’hui, REVEO Toulouse Métropole représente 116 points de recharge normale (22kW) et 8 points de charges rapides (43-50kW). Et nous avons obtenu différents titres : Trophée de l’AVERE-France, lauréat VILAGIL (Territoires d’innovations), … 

Quels sont vos objectifs et enjeux à l’échelle du territoire en matière de mobilité électrique ?  

Nos objectifs et enjeux ont beaucoup évolué depuis le début du déploiement des premières bornes de recharge.  

Auparavant, le but était de tester la viabilité économique et matérielle des bornes pour ensuite les déployer en travaillant surtout sur le maillage du territoire. En effet, l’objectif était de couvrir tout le territoire et de laisser le moins de zones blanches possible (être garant du maillage et de l’équité du territoire).  

Aujourd’hui, le contexte est totalement différent. La rentabilité pour les acteurs privés a été démontrée (équilibre atteint à 5 ans) et, depuis quelques années, de nombreux acteurs privés émergent (Tesla, Allego, Electra, …). La métropole de Toulouse a donc décidé de mettre à disposition le territoire et de laisser place à l’initiative privée. Nous avons lancé en février 2021 un appel à manifestation d’intérêt (AMI) auquel a répondu la société de projet Toulibéo, constituée de Bouygues Energies & Services, de la Banque des Territoires et de la Caisse des Dépôts. Toulibéo a déployé le réseau de recharge Alizé composé, au 1er novembre 2022, de 91 bornes de recharge normales 22kW (182 PDC), 23 bornes de recharge ultra-rapides 100kW (43 PDC), 1 HUB de recharge composé de 4 bornes de recharge ultra-rapides 180-240kW (6 PDC) et 3 citycharges, bornes de recharge 3,7kW dédiées à la recharge des deux-roues motorisés électriques (1er service de ce type proposé en France). Cela représente plus de 60 stations de recharge constituées de 4 points de charge chacune. Le déploiement se poursuit et devrait être finalisé d’ici la fin du 1er semestre 2023. 

L’arrivée de ces acteurs privés a-t-elle permis de réduire la part du financement de développement de la mobilité électrique assurée par la Métropole ?  

L’arrivée des acteurs privés nous a permis de réduire notre enveloppe consacrée aux déploiements des bornes de recharge mais surtout d’accompagner le déploiement du réseau Alizé, complémentaire au réseau Révéo, dans des délais records au regard du nombre de stations de recharge implantées. Toulouse Métropole a été réactive pour apporter une vraie réponse aux usagers. 

Mais l’enveloppe de la Métropole ne reste cependant pas non nulle pour des raisons d’équité envers toutes les communes, en particulier les communes de 2ème couronne. L’intérêt y est fort car ces communes sont moins bien reliées au réseau de transport en commun et les habitants sont donc davantage amenés à utiliser leur véhicule au quotidien. 

Les acteurs privés ont en effet tendance à privilégier les zones urbaines denses pour déployer leurs IRVE car le taux d’occupation des bornes y est supérieur et la rentabilité meilleure.  

De quelle marge de manœuvre dispose la Métropole de Toulouse pour encadrer le déploiement des IRVE par les acteurs privés ? 

Il est important de bien différencier les acteurs privés.  

Il y a ceux qui ont signé des conventions d’occupation du domaine public pour l’installation de bornes dans l’espace public, moyennant redevance. Pour obtenir ces conventions, ils sont obligés de répondre à un AMI ou AIP. Ces conventions d’occupation sont d’une durée de 10 ans, renouvelables 5 ans. Ces dispositifs nous permettent d’assurer un certain niveau de qualité aux utilisateurs et d’encadrer les logiques de déploiement de bornes.  

Il y également des acteurs privés installant des bornes sur des espaces privés (par exemple : un parking de supermarché). Ces acteurs vont très vite et proposent en général des prix attractifs pour attirer et fidéliser leurs clients. Pour ceux-là, nous ne récupérons, au niveau de la Métropole, aucune donnée sur les emplacements des bornes et leur utilisation. Nous ne connaissons donc pas les zones couvertes et ne bénéficions d’aucun levier de contrôle sur l’exploitation et le niveau de service de ces bornes. 

Depuis, le décret n°2021-565, il y a une obligation de réaliser un SDIRVE, avez-vous initié une réflexion ?  

Oui, celui-ci est prévu pour fin 2022.  

L’objectif de ce document est de réaliser un diagnostic de la situation en matière de mobilité électrique et d’IRVE mais également d’amener une réflexion sur les priorités et les objectifs à l’échelle du territoire.  

Cependant, la réalisation de ce SDIRVE est un exercice complexe pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, comme nous l’avons vu précédemment, les données des opérateurs privés ne nous sont pas toujours dévoilées. Il nous est donc difficile de déterminer les zones correctement couvertes et encore plus de nous projeter. Vous comprendriez bien qu’il est inutile que la métropole déploie une borne dans l’espace public alors qu’un acteur privé à proximité au sein d’un espace privé.  

De plus, pour réaliser nos projections, nous prenons en compte les prévisions de ventes des véhicules électriques à venir. Mais il est difficile de prédire exactement le nombre de bornes de recharge à installer car celui-ci dépend du type de bornes (faible puissance, haute puissance), de la technologie de recharge des véhicules et des usages (dont les données sont protégées par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)).  

Travaillez-vous avec des acteurs publics sur les sujets de mobilité électrique ?   

Nous avons l’habitude de travailler avec ENEDIS pour savoir où implanter les bornes et vérifier la faisabilité de certains projets. Ceci est d’autant plus vrai pour l’installation d’IRVE de grande puissance, pour lesquelles il est parfois nécessaire d’ajouter un transformateur.  

Un autre point important est qu’Enedis, en tant que gestionnaire du réseau, dispose de la composition urbaine du territoire, c’est-à-dire la part de pavillons (dont les occupants ont donc théoriquement la possibilité de se recharger à leur domicile), la part de copropriétés anciennes, la part de bureaux, etc. sur un territoire donné. Cette vision nous permet d’estimer la part théorique de personnes pouvant recharger leur véhicule chez elles et la part de personnes ayant la possibilité de recharger sur leur lieu de travail; ces informations nous aident à évaluer de façon théorique les besoins de recharges sur l’espace public. Mais attention, les flux touristes sont également à prendre en compte car certains territoires régionaux sont très impactés. 

Pour finir, avez-vous de nouveaux projets à venir ?  

En 2019, nous avons répondu au PIA3 – Territoires d’Innovation (Plan d’Investissement d’Avenir) pour créer un projet de décarbonisation du territoire et de la mixité énergétique des modes de déplacements. Le programme Vilagil vise à apporter des solutions opérationnelles et concrètes afin de poursuivre une ambition de durabilité, de relance mais aussi d’innovation et de décarbonation du territoire. 

Ce programme se structure autour d’un écosystème public, privé et académique et trois axes de travail déployés dans 15 projets (9 projets en investissement + 6 projets en subvention) : 

  • Mettre les améliorations technologiques et la donnée au service de la mobilité intelligente et efficiente 
  •  Faire évoluer les comportements et les usages en positionnant le citoyen au cœur du projet 
  • Transformer aux plans écologique et digital les schémas d’organisation des lieux de vie, des lieux d’activité du territoire mais aussi la gestion du trajet domicile-travail 

Une attention particulière est portée autour du déploiement de bornes de recharge pour les véhicules 2 roues motorisés électriques. Un atelier de participation citoyenne se tiendra le 16 novembre prochain pour déterminer l’ergonomie de ces bornes et leur maillage à prévoir (en tenant compte de la capacité du réseau à absorber de nouvelles IRVE).  

In fine, une nouvelle feuille de route sera définie à la suite du dépôt du SDIRVE en Préfecture… 

Nous remercions madame Dalbin pour le temps qu’elle nous a consacré et pour ce riche échange. 

  

VINCENT GUILLEROT

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