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Étude de l’ART sur l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs – Réussir l’ouverture à la concurrence, au bénéfice de l’usager

Une trentaine d’années après certains de ses voisins européens, la France achève finalement son processus de libéralisation des services de transport ferroviaire de voyageurs par leur ouverture à la concurrence[1]. Le calendrier initial prévoyait une ouverture en deux étapes : d’abord, les services en libre accès (Open-access Market) ; ensuite la concurrence pour les services conventionnés, via des appels d’offres à partir de 2023[2].

La première phase s’est concrétisée par l’arrivée sur le marché national des premières entreprises alternatives à l’opérateur historique, dont Trenitalia. La société italienne a fait son entrée sur le marché français de la grande vitesse en décembre 2021.Dans son sillage,d’autres opérateurs étrangers comme la RENFE ont annoncé leur souhait « d’intégrer le marché » témoignant ainsi d’une certaine attractivité du marché ferroviaire français.

Ces nouveaux entrants peuvent constituer un levier majeur de développement et de dynamisation du transport ferroviaire de voyageurs, dont toutes les parties prenantes pourront sortir gagnantes :

  • Les usagers, par une augmentation de l’offre et de la qualité de service ;
  • Les nouveaux entrants, qui peuvent développer leurs services ;
  • L’opérateur historique, SNCF voyageurs, qui bénéficiera par effet de drainage, du développement du marché, comme le montrent les premières expériences dans des pays voisins :

La réussite de l’ouverture à la concurrence reste toutefois conditionnée par un certain nombre de mesures à accomplir ou perfectionner, à court et moyen termes, que l’Autorité de Régulation des Transports (ART) a décliné en 39 recommandations destinées aux différentes parties prenantes de l’écosystème ferroviaire français telles que l’Etat, le Parlement, les régions, le groupe public ferroviaire historique (SNCF, SNCF réseau, SNCF Voyageurs, SNCF Gares & Connexions), les autorités de sécurité et les acteurs industriels du secteur.

Ces mesures recouvrent quatre grands axes d’amélioration :

  1. Améliorer les conditions tarifaires d’accès aux infrastructures ;
  2. Améliorer les conditions opérationnelles d’accès ;
  3. Accompagner l’ouverture à la concurrence des services conventionnés et des services librement organisés ;
  4. Perfectionner la gouvernance des infrastructures essentielles en donnant davantage d’indépendance aux gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire et des gares.

1. Améliorer les conditions tarifaires d’accès aux infrastructures et aux installations de services ferroviaires

A court et moyen termes, il est nécessaire de réaliser de nombreux progrès sur le versant tarifaire de l’accès aux infrastructures (ensemble des prestations fournies et des processus pilotés par SNCF Réseau) et installations de services ferroviaires pour offrir aux nouveaux entrants un accès transparent, équitable et objectif aux infrastructures et installations de services (gares de voyageurs, installations d’entretien de matériels roulants, voies de manœuvre et de stationnement). L’ART souligne notamment que la rationalisation du régime des redevances constitue « une condition incontournable de la libéralisation du secteur ferroviaire »[3].

Dans le cadre du calcul des redevances, on distingue usuellement deux régimes de prix :

  • Le régime général : assimilable au coût marginal d’utilisation de l’infrastructure. Il s’agit des redevances qui couvrent le coût directement imputable. Les redevances de circulation et la redevance de circulation électrique obéissent à ce régime[4]. Les coûts communs et coûts fixes ne sont ici pas pris en compte ;
  • Le régime d’exception : consiste à appliquer des majorations pour atteindre l’équilibre budgétaire, par la mise en place de redevance d’accès et de redevance de marché[5], qui s’inscrivent toutes les deux dans le régime d’exception.

L’ART met en avant 3 enjeux principaux pour SNCF Réseau :

  • Assurer la fourniture d’un accès non discriminatoire aux installations et aux services à travers une régulation tarifaire ;
  • Favoriser une utilisation effective et optimale de l’infrastructure ferroviaire ;
  • Contribuer à son financement global et à son développement.

Dont 2 objectifs à atteindre :

  • Réduire les coûts de gestion de l’infrastructure pour diminuer le coût des redevances ;
  • Proposer des contrats de maintenance qui s’adaptent aux besoins des entreprises en proposant des groupements d’actions élémentaires de maintenance et d’entretien, voire un forfait tout compris.

Le travail le plus important à réaliser et sur lequel SNCF Réseau doit se concentrer, se situe dans le régime d’exception (redevances d’accès et redevances de marché) qui représente plus de 80% du total des redevances payées par l’opérateur historique de services de transport, comme le montre le graphique qui suit.

Les solutions possibles :

  • Forfaitisation des coûts fixes : Il est nécessaire de proposer un forfait ou un abonnement pour utiliser les différentes infrastructures. Cela nécessite de bien connaître la demande de l’entreprise en termes de quantité de trains. C’est une bonne avancée pour les services conventionnés mais pas pour les services librement organisés (SLO) car leur concurrence se fait sur le marché et non sur l’appel d’offres. Or le prix du forfait est fixe et ne s’adaptera pas au nombre de trains circulants réellement, ce qui peut constituer une barrière à l’entrée pour un nouvel entrant, dont la part de marché est par définition inférieure à celle de la SNCF ;
  • Réduire le coût total pour la gestion de l’infrastructure par des « incentives » afin de réduire le niveau des redevances ;
  • Calquer le niveau des redevances d’accès sur des coûts de gestion de l’infrastructure optimisée afin d’inciter les gestionnaires de réseau à la performance (Ne pas payer plus à cause des inefficacités du gestionnaire et maintenir la rente de situation) ;
  • Adapter la structure et la cohérence des niveaux des tarifs d’accès et des prestations aux besoins des opérateurs et du marché ;
  • Accroître la lisibilité des offres d’entretien et de maintenance de référence et proposer des menus d’offres qui s’adaptent aux besoins de chaque opérateur dans le cadre de l’accès aux installations d’entretiens des matériels roulant ferroviaires.

2. Améliorer les conditions opérationnelles d’accès aux infrastructures et installations de services ferroviaires

La performance et la qualité des services de transport ferroviaire sont directement liées à la gestion de l’infrastructure.

La transparence et l’efficacité du versant opérationnel de l’accès à l’infrastructure doivent impérativement être améliorées. Sa gestion doit être modernisée et rendue plus flexible pour améliorer la performance et la qualité des services, et assurer une entrée équitable et optimale des opérateurs concurrents[6].

Le gestionnaire des infrastructures doit assurer 4 prestations et fournir certaines ressources minimales :

  • Le traitement des demandes de capacité, le droit d’usage et l’utilisation effective ;
  • Le contrôle de la circulation des trains (signalisation, régulation, dispatching, fourniture d’informations sur la circulation) ;
  • L’alimentation électrique du système ;
  • L’accès à toutes informations nécessaires à la mise en œuvre ou à l’exploitation des services.

Il doit aussi mettre en œuvre 3 processus pour commercialiser les capacités disponibles de l’infrastructure et en faire une utilisation efficace et optimale :

  • Répartition des capacités ;
  • Programmation des travaux ;
  • Gestion opérationnelle des circulations.

Les voies de garage et les gares de formation des trains constituent des installations de service essentielles pour l’exploitation des services de transport ferroviaire. La gestion de l’infrastructure sur l’ensemble de ces prestations et processus reste largement perfectible.

Les solutions possibles :

  • Faire évoluer la structuration et la répartition des capacités (sillons) sur le réseau ferroviaire vers un processus plus transparent, plus normatif et plus stable, pour un usage plus intensif, efficace et équitable du réseau ;
  • Aller vers une digitalisation des processus, vers une logique client a la place d’une logique technique comprise seulement par SNCF Réseau ;
  • Moderniser la gestion opérationnelle des circulations sur le réseau ferroviaire au niveau de la traçabilité des décisions et des actions de régulation et systématiser le processus de retour d’expériences sur les actions de réordonnancement des circulations ;
  • Améliorer la transparence et la lisibilité de l’accès aux installations et voies de service et adapter l’offre de prestation en gare aux demandes locales ;
  • Progresser dans les conditions opérationnelles et contractuelles d’accès aux voies de garage ; un accès régulé et non discriminatoire à l’ensemble du parc de voies accessibles, quel qu’en soit l’exploitant, doit être mis en place ;
  • Simplifier les procédures d’accès aux centres d’entretien et d’en élargir l’accès à tous les acteurs susceptibles d’être intéressés ;
  • Accentuer la transparence de la gestion opérationnelle du réseau avec par exemple la publication de « KPI » pour évaluer l’efficacité de la gestion du gestionnaire du réseau.

3. Perfectionner la gouvernance des infrastructures essentielles en donnant plus d’indépendance aux gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire et des gares

L’indépendance des gestionnaires des infrastructures est un des fondements du bon fonctionnement de la concurrence sur le marché aval. Des mesures sont à prendre pour les deux filiales de l’opérateur historique français : SNCF Réseau et SNCF Gares et Connexions.

  • SNCF Réseau : Garantir une transparence et une équité d’accès à l’infrastructure en renforçant son indépendance. Pour cela, il faut doter SNCF Réseau de moyens financiers supplémentaires, limiter les fonctions mutualisées et mettre en place une indépendance par le truchement d’une gouvernance améliorée. Pour SNCF réseau, il est essentiel que le nouveau contrat conclu avec l’État intègre des objectifs ambitieux en matière de gestion opérationnelle, d’investissement et d’indépendance.
  • SNCF Gares et Connexions : le sort de cette filiale de SNCF Réseau est étroitement lié à l’indépendance de sa société mère. Son indépendance dépendra de ses missions et des objectifs affiliés par l’État.

Pour l’accomplissement de ses missions, SNCF Gares & Connexions reste cependant très dépendante de l’entreprise ferroviaire historique, SNCF Voyageurs, en particulier dans les gares où cette dernière agit en tant que transporteur-intégrateur (plus de 95 % des gares). Les fonctions combinées de transporteur-intégrateur sont essentielles dans les petites gares pour garantir la continuité du service public mais difficilement conciliable avec l’impératif de concurrence.

Il est important que le gestionnaire des gares soit doté de tous les moyens humains, techniques, financiers et de pilotage pour réaliser ses missions de manière effective et efficace. C’est une condition primordiale pour respecter le principe d’indépendance organisationnelle et décisionnelle vis-à-vis des entreprises ferroviaires fixé par le droit européen.

Les solutions possibles :

  • Renforcer l’indépendance organisationnelle et décisionnelle du gestionnaire d’infrastructure ;
  • Réduire le périmètre des fonctions mutualisées de la société nationale SNCF ;
  • Revoir le fonctionnement du Conseil d’administration de SNCF Réseau ;
  • Procéder à la publication, chaque année, d’un rapport de l’Autorité portant sur le respect de son code de bonne conduite ainsi que sur une évaluation de l’indépendance de SNCF Réseau ;
  • Développer au sein des contrats qui lient les deux gestionnaires d’infrastructures essentielles à l’État et/ou à travers des mesures réglementaires incitatives, un cadre stratégique plus ambitieux, plus précis et plus incitatif à la performance, au bénéfice du réseau.

4. Accompagner l’ouverture à la concurrence des services conventionnés et des services librement organisés

La montée en puissance des autorités organisatrices de transports (AOT) dans le processus d’ouverture à la concurrence des services conventionnés doit être poursuivie et accompagnée. En ce sens de nombreuses régions comme les Hauts de France, le Grand-Est ou la région Sud PACA ont publié des avis de concession. Pour la première fois un concurrent de la SNCF, Transdev, s’est vu attribuer une concession ferroviaire : L’entreprise a remporté l’exploitation, à partir de 2025 et pour dix ans, d’un des deux lots mis en procédure de consultation des entreprises (DCE) par la région Sud PACA (ligne Marseille-Nice).

Toujours dans un souci de transparence et d’équité, les AOT doivent cependant se prémunir de certains risques qui nuiraient à la performance globale du système. Parmi ces risques on peut citer le transfert de certaines gares de voyageurs ou de certains segments de l’infrastructure ferroviaire. En effet le système ferroviaire actuel pourrait devenir une juxtaposition de petits réseaux ferroviaires, mal interconnectés et générant une duplication des coûts fixes obérant l’équilibre économique d’ensemble.

En revanche si ce transfert est réussi, il peut être un levier d’amélioration de la qualité et du service rendu aux usagers et faciliter l’accès aux données pertinentes qui constitue un prérequis incontournable pour une préparation réussie des appels d’offres des AOT et un pilotage efficace de l’exécution des services publics de transport ferroviaire.

Le processus de libéralisation en cours ouvre donc un vaste champ d’opportunités aux AOT pour poursuivre le développement de leurs compétences. Ils peuvent en plus s’appuyer sur les expériences européennes de libéralisation des services conventionnés pour apprendre des enseignements utiles.

Il faut mutualiser les ressources et les compétences afin de développer une société publique, établie et pilotée conjointement par plusieurs AOT, destinée à assurer la gestion d’une flotte de matériels roulants dédiés aux services conventionnés de ces AOT et leur mise à disposition, à travers un contrat de location par exemple, aux exploitants ferroviaires des services conventionnés de ces AOT.

Il convient de plus de développer des instruments de garantie financière dans l’optique de faciliter, le cas échéant, l’acquisition de nouveaux matériels roulants par les opérateurs ferroviaires et de mettre en place des entités assurant tout ou partie des fonctions d’AOT, distinctes des services des conseils régionaux (avec des sociétés publiques locales par exemple).

Les solutions possibles :

  • Limiter le transfert de certaines gares de voyageurs aux seules gares durablement « mono-transporteur » ;
  • Favoriser le développement de sociétés de location et de gestion de flottes de matériels roulants (ROSCO) ainsi que le développement d’un marché des matériels roulants d’occasion pour les services librement organisés ;
  • Améliorer l’interopérabilité du réseau de lignes à grande vitesse, en accélérant le déploiement du système de signalisation européen, l’ERTMS, et en mettant en place des dispositions transitoires adaptées ;
  • Faciliter l’accès des autorités organisatrices de transports (AOT) aux données pertinentes pour l’attribution concurrentielle de lots de services conventionnés ;
  • Renforcer la capacité des autorités organisatrices de transports à structurer et piloter les services conventionnés dans un contexte d’ouverture à la concurrence ;
  • Envisager à l’instar des aéroports régionaux, un transfert des actifs aux collectivités.

La nouvelle étude menée par l’ART, résumée ici en quatre grands axes d’amélioration, a donc pour objectif d’éclairer les décideurs publics à l’heure où l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs devient une réalité. Elle est le résultat de quatre années d’observation des conditions du marché et des conditions d’accès aux infrastructures du système, ainsi que d’une écoute permanente de toutes les parties concernées, dont 31 entretiens et 8 auditions menées devant le Collège de l’Autorité.


[1] Voir page 32 de étude sur l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs en France (le « Rapport »), disponible ici.

[2] Voir page 26 du Rapport.

[3] Page 38 du Rapport.

[4] Articles 31 et 32 de la Directive 2012/34/UE, disponible ici.

[5] Ibid.

[6] PP. 48-49 du Rapport.

Andy Garcia

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