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Retour sur la première édition du forum de l’Agence de l’Innovation pour les Transports (AIT)

Les 7 et 8 février 2023, à la cité des sciences et de l’industrie, s’est déroulé le premier forum de l’Agence de l’Innovation pour les Transports (AIT). Cette agence gouvernementale a été créée en 2021 et a 4 défis majeurs à relever.

 

Ce premier forum avait pour objectif de rassembler une grande partie des acteurs du transport (start-ups innovantes, scientifiques, étudiants, collectivités, financeurs, etc.) pour les faire se rencontrer, débattre et susciter des vocations auprès de plus jeunes. Au programme, des stands présentant des solutions innovantes, des pitchs, des conférences et un hackathon supervisé par le ministre des Transports : M. Clément BEAUNE sur le thème du titre de transport unique de demain.

Une nécessité de changer les transports

Le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre en France, et c’est aussi l’un des seuls secteurs dont les émissions n’ont pas diminué ces 40 dernières années. Cela a été causé en partie par le développement indépendant de chaque domaine. Que ce soit l’aéronautique, le maritime ou le ferroviaire, chacun s’est construit sans réellement travailler avec les autres, ce qui a abouti à un fonctionnement en silos des différents modes de transports rendant l’intermodalité compliquée. La crise du Covid-19 a montré aux acteurs de la mobilité la nécessité de travailler ensemble pour proposer des voyages intermodaux plus fluides et plus simples. Ce qui fait des HUB de transport, un enjeu majeur de la mobilité de demain.

Illustration du concept d’intermodalité en gare de Clermont-Ferrand

Un autre enjeu capital est l’intégration du périurbain et du rural. En effet ces 2 types de territoires sont à certains endroits très délaissés par les transports en commun, et la voiture individuelle est souvent l’unique solution. De façon réaliste, il y a des zones où les transports publics ne pourront jamais être implantés efficacement (pour des raisons de volume). Il faut donc réfléchir à des alternatives à l’autosolisme.

L’émergence de solutions innovantes

3 leviers ont été identifiés pour diminuer l’impact écologique du secteur des transports : la sobriété, l’efficacité et la décarbonation. Mais il n’existe (et n’existera pas) de réponse unique à ces problématiques. Pour atteindre ces objectifs, il faut proposer un bouquet de solutions. Dans les solutions, on peut relever notamment l’optimisation de l’existant. Ce terme assez large englobe le fait de rendre les transports existants plus performants (en termes de capacité ou d’adaptation aux aléas par exemple) mais aussi des solutions qui existent déjà mais qu’il faut développer (comme le covoiturage ou les véhicules partagés) et le fait d’utiliser des infrastructures existantes pour des nouvelles solutions (il existe des projets de réutilisation des rails français désaffectés pour mettre en place des trains légers dans certains territoires. On retrouve également dans le bouquet de solutions discutées l’utilisation généralisée de l’IA pour analyser et optimiser les flux mais aussi mettre en place de la maintenance préventive, l’hydrogène et les carburants de synthèse pour les trajets longue distance, et bien sûr, les voitures électriques.

 

En effet, l’utilisation de la voiture électrique est en pleine croissance et un remplacement du parc automobile thermique par un parc entièrement électrique est envisageable d’ici les 30 prochaines années. Mais ces véhicules ne sont qu’une partie de la solution, ont rappelé les intervenants de la table ronde « Transition énergétique dans les mobilités » animée par Marie-Xavière Wauquiez, Directrice de missions sur la transition énergétique. Selon eux, il y a 2 risques majeurs :

 

Un frein à l’achat

Sur les longs trajets, il est nécessaire de planifier où recharger son véhicule car les bornes ne sont pas encore aussi courantes que les stations essences, et le temps que cela prend, car c’est plus long que de faire le plein d’essence. Et au quotidien, il faut soit recharger à son domicile ou sur son lieu de travail quand cela est possible, soit trouver des bornes urbaines partagées. La plupart de ces bornes sont gérées par différents exploitants, les moyens de paiement, les tarifs et les conditions d’utilisation peuvent changer d’un territoire à un autre, au contraire du fonctionnement uniforme des stations-services. C’est un vrai changement d’habitudes d’acheter un véhicule électrique.

 

L’impact sur le réseau

Si les près de 40 millions de voitures en France étaient électriques, le réseau devrait faire face à des pics de charge en début de soirée, quand on branche sa voiture en revenant du travail. Des travaux sont ainsi menés pour faire face à ce changement drastique d’utilisation de l’énergie. Il faut pouvoir assurer la demande croissante d’électricité tout en conservant le système des énergies fossiles le temps de la transition. En effet, ce sont probablement les ménages les plus précaires qui opéreront la transition en dernier pour des raisons monétaires. Il faut donc garantir l’accessibilité des transports en proposant 2 systèmes énergétiques. Au-delà d’une transition énergétique, c’est une transition de système qu’il faut opérer.

Source : selectra.info

L’avènement de ce bouquet de solutions va mener à des changements d’urbanisme, et son temps de réaction est très long (40 voire 50 ans). Il est donc nécessaire de se pencher sur la question dès maintenant. Réfléchir le paysage urbain permet également de réduire l’impact écologique de la mobilité. En effet la majorité des déplacements est causé par l’espacement des différentes ressources, réduire cet espacement permet de diminuer la longueur des trajets. Il y a une vraie nécessité de réfléchir à la façon de construire les lieux d’habitations, de commerce et d’emploi. L’épaississement des flux est un autre facteur d’urbanisme qui contribue à la diminution des émissions de CO2. Pour Alain Lhostis, Directeur de recherche à l’Université Gustave Eiffel, il y a une nécessité de penser en termes de lignes de transports et non plus d’arrêts. Ainsi pour développer des transports performants demain on doit travailler aujourd’hui sur l’urbanisme et l’adaptation de la voierie.

La mobilité de demain est déjà en train d’émerger, mais elle est encore au stade de prototype, la plupart du temps au sein de start-ups. Favoriser l’apparition et la concrétisation de ces idées innovantes, c’est permettre au secteur des transports d’avancer dans son parcours de décarbonation. C’est l’ambition des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Florent Bardon, Coordonnateur national JOP 2024, a rappelé la philosophie de ces JO : le bas carbone, l’innovation et la pérennisation des infrastructures. Contrairement aux jeux olympiques précédents, ceux de Paris auront lieu en plein territoire urbain, il est essentiel que la ville continue de vivre en parallèle des jeux. Ainsi un appel à projets d’innovation de mobilité a été lancé par le ministère chargé des transports. Certains gagnants de l’appel à projet étaient présents à ce forum pour présenter leur solution innovante que ce soit en termes de moyen de transport ou en signalétique. Pour assurer le transit des personnes accréditées, des voies réservées vont être construites et à l’issue des jeux elles pourront se transformer en voies de covoiturage par exemple.

 

Ainsi, la mobilité de demain requiert un changement d’usage des transports. C’est une transition de système qui attend la société française pour décarboner les transports. Et cette transition doit être spécifique à chaque territoire pour ne pas laisser de côté le périurbain et le rural.

 

La place importante de la Data

Aujourd’hui le numérique est partout, et il est puissant. Il permet de récolter un nombre phénoménal de données très précises concernant les transports. Comment utiliser ces données pour innover et améliorer les mobilités ?

Les différents intervenants ont rappelé ensemble l’importance de la standardisation des données. Sans cette standardisation, le traitement de la donnée est très compliqué, car pour en extraire des informations intéressantes et exploitables il est capital des croiser les données venant de différentes sources. Sans standardisation il n’y a pas d’outils. La production, la mise à disposition, la réutilisation et la mise à jour des données sont des aspects capitaux de la Data science. Corinne Blanquart, vice-présidente de l’université Gustave Eiffel a souligné l’importance du domaine de la recherche dans ce cycle de vie de la donnée car elle produit, utilise et forme à l’utilisation des données. Il est ainsi capital d’inclure les chercheurs dans les consortiums d’entreprise dont le but est de prendre des décisions sur l’utilisation des données, et de garder en tête que les jeux de données sont toujours biaisés pour les exploiter au mieux. Le partage des données, nécessaire à l’innovation, est aussi complexe pour des raisons de concurrence : des opérateurs peuvent ne pas être enclin à partager leurs données pour des raisons commerciales.

Ces données une fois standardisées et mises à disposition (publiquement ou non) peuvent être réutilisées et appliquées dans beaucoup de domaines différents : des calculateurs d’itinéraires, des applications d’information du trafic en temps réel, des outils d’optimisation des flux, ou encore pour renseigner les données d’accessibilité des modes de transports ou de la voierie. Les données peuvent également servir comme point de rassemblement des différents acteurs : communes, opérateurs, utilisateurs. Les données peuvent ainsi aider à coordonner tous les acteurs impliqués et répondre à une problématique de gouvernance.

 

La gouvernance des projets et la place du secteur public dans l’innovation

Pour avancer vers la mobilité de demain, il y a besoin de rassembler tous les acteurs en consortiums mixtes : des opérateurs privés, des collectivités, des communes, des communautés de communes … Une seule entreprise, un seul corps de métier ne fera pas tout changer.

Sur ces missions, il y a souvent un problème de gouvernance. Qui a la position assez neutre et la connaissance pour piloter l’ensemble des acteurs aux intérêts parfois très différents ? Dans les zones urbaines, il y a des centaines de communes qui doivent s’accorder pour trouver des solutions. Les experts doutent que ce fonctionnement soit réellement réformable, car il est très ancien est ancré dans la société. Il y a ainsi un réel besoin de nouvelles stratégies de gouvernance sur les projets de mobilité.

Le rôle de l’état français a également été discuté pendant ce forum. Dans un esprit d’innovation, les start-ups sont indispensables, c’est de là que viennent la plupart des idées disruptives. Un engagement plus visible du secteur public dans le domaine des start-ups, que ce soit pour les financer en rentrant dans leur capital ou leur passer leur première commande (étape essentielle au bon lancement d’une start-up) permettrait de rassurer les acteurs privés, de rendre le projet crédible et donc de lever plus de fonds pour concrétiser ces idées. Les collectivités ont à leur disposition une enveloppe pour investir dans des projets innovants, mais elle est insuffisante aujourd’hui. Davantage de subventions pour les projets innovants permettrait de booster l’innovation. Selon les experts présents, il faudrait se diriger vers une plus grande collaboration entre secteur privé et public pour investir dans les start-ups.

La difficulté administrative du système de financement français et européen a également été mis en avant, notamment par les start-ups. En effet, monter des dossiers de financement est très compliqué et chronophage, à tel point que certains ont renoncé à demander des fonds européens. Par ailleurs, un réel besoin d’alignement entre la politique et les experts est nécessaire pour créer des incitations à l’usage sur la mobilité partagée, en désavantageant clairement l’autosolisme. En définitive, passer à l’action de façon claire et déterminée.

 

A retenir

Ce premier forum de l’AIT a montré une forte envie de collaboration entre les différents acteurs du monde du transport et c’est un optimisme partagé qui s’en dégage. Les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 seront à surveiller. Réussiront-ils à se poser comme un tremplin de l’innovation dans les transports, comme les organisateurs le souhaitent ?

Côté hackathon, 70 participants aux profils différents (étudiants, opérateurs, experts en billettique …) répartis en 10 équipes ont réfléchi pendant les 2 jours du forum à la problématique du titre de transport de demain. Le but principal étant d’imaginer un titre de transport unique qui puisse être utilisé pour tous les moyens de transport sur l’ensemble du territoire français. L’enjeux était donc de trouver une solution simple d’usage pour tous les utilisateurs, qu’ils soient domiciliés sur le territoire ou des touristes de passage, et qui concilie également les différents opérateurs et exploitants du transport en garantissant une répartition juste des revenus. La plupart des solutions proposées s’appuient sur le numérique, proposant une application mobile, une plateforme en ligne mais aussi la possibilité d’avoir un titre physique, et prévoient de s’appuyer sur les infrastructures déjà existantes pour accélérer le plus possible sa mise en application. Les gagnants de ce hackathon, l’équipe de France Moov’, ont réussi à sortir du lot grâce à l’idée d’un réseau billettique géolocalisé centralisé sur une application mobile, et l’équipe de la carte LEM grâce à son ambition de rendre accessible sans prépaiement tous les transports publics français grâce à une carte unique.

Le ministre des Transports M. Clément BEAUNE, présent à la cérémonie de clôture s’est engagé à soutenir les projets gagnants du hackathon et envisage l’arrivé de ce nouveau titre de transport d’ici 2 ans.

Chloé HENNEQUIN

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