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Taxe carbone, péages urbains… Quelles fiscalités environnementales ?

Durant plusieurs décennies, la voiture a imposé sa loi au détriment des libertés de chacun, souvent avec le soutien des institutions publiques et avec un subventionnement des infrastructures par la collectivité. Au détriment des libertés de chacun, en effet : puisque les pollutions sonores et atmosphériques générées par la voiture d’un individu affectent des personnes totalement extérieures (les voisins) n’ayant pas eu leur mot à dire sur l’utilisation de cette voiture. Toutefois, les préoccupations politiques récentes ont apporté dans le débat public diverses idées visant à corriger les défaillances de marchés en faisant payer par le consommateur le prix des externalités négatives qu’il génère.

La logique globale derrière cette idée est simple : faire payer les infrastructures par ceux qui les utilisent et demander au consommateur de payer à la collectivité une compensation pour les désagréments qu’il cause à autrui. C’est le principe de la fiscalité pigouvienne, évoquée il y a un siècle par l’économiste britannique Arthur C. Pigou et également connue comme le principe pollueur-payeur. Cette fiscalité vise à intégrer au marché le coût social des externalités négatives générées par une activité. Cela entraîne mécaniquement la diminution de cette activité lorsque son nouveau prix, intégrant ses conséquences extérieures, dépasse le bénéfice individuel que l’on peut en tirer.

Une telle fiscalité doit s’envisager dans une logique globale, mais nous nous intéresserons plus particulièrement dans cet article aux opportunités et problématiques de la prise en compte des externalités négatives du transport en voiture.

L’impact climatique : un coût universel

Les conséquences climatiques ne sont pas les plus simples à évaluer, mais au moins les plus simple à répercuter sur les prix. En fonction des différents gaz et particules rejetées par l’utilisation de chaque carburant, il est possible de leur appliquer une taxe. C’est la logique appliquée dans beaucoup de pays et notamment en France via la TICPE. L’enjeux est toutefois d’évaluer le réel coût social des impacts climatiques générés par litre de carburant, tant pour notre génération que pour les générations futures. Pour cela, de nombreux travaux sont conduits pour proposer des méthodes d’évaluation les plus justes possibles.

Ce coût social étant fixe pour chaque litre de carburant consommé, cette taxation, pour être juste, devrait demeurer un droit d’accise fixe n’évoluant pas en fonction du prix du pétrole. Une taxe flottante aurait pour effet d’entraver sa compréhension et son acceptation par le contribuable. Dans une période où le consentement à l’impôt est déjà un sujet de débat, la fiscalité écologique doit apparaître comme une solution d’imposition plus légitime que les autres formes de fiscalité.

Une tonne de CO2 ayant le même impact climatique quel que soit son lieu de production, la collecte de cette taxe fixe est aisée en la prélevant lors de l’achat du carburant, indépendamment du lieu. Dans l’idéal, une telle fiscalité devrait être mondiale. A défaut, la logique voudrait qu’elle relève des compétences de l’Union Européenne et que les recettes alimentent directement le budget européen. Pour corriger toutes les défaillances de marché, cette fiscalité devrait évidemment s’appliquer sur toutes les émissions générées par les produits importés, pour éviter l’effet de « délocalisation de la pollution ».

L’impact sanitaire et les nuisances sonores : des conséquences différenciées

Après avoir étudié la question du coût climatique, on se rend bien compte qu’il ne constitue qu’une partie des externalités négatives de nos modes de transport, et probablement la plus simple. La pollution atmosphérique a d’autres conséquences que son impact sur le climat. Elle a en effet des conséquences particulièrement importantes sur la santé des populations et elle pèse ainsi sur les dépenses de sécurité sociale. Outre les années de vie perdues des 40 000 décès prématurés par an liés à la pollution en France, son coût social est estimé à plus de cent milliards d’euros par an. Il parait donc naturel de faire financer les dépenses de santé qui y sont liées par les personnes responsables de cette pollution. Une nouvelle taxe sur les carburants, dites-vous ? Le problème, c’est qu’un litre d’essence n’a pas tout à fait le même effet sur la santé publique lorsqu’il est brulé en centre-ville ou en rase-campagne.

Il en va de même pour les nuisances sonores des véhicules qui, de la même manière, dépendent du lieu, du véhicule et du comportement de son conducteur. Une étude de l’ADEME et du Conseil National du Bruit a estimé le coût du bruit pour l’économie française à 57 milliards d’euros par an. Les nuisances sonores impactent en effet la productivité (concentration, sommeil, stress…) et les dépenses de santé (problèmes cardiaques ou d’audition…).

Face à ces effets différenciés, dépendant de plusieurs variables, comment imputer de manière juste leur coût social au consommateur ? C’est le rôle des responsables politiques de réaliser de tels choix, mais encore faut-il leur en donner le pouvoir et la légitimité. Tant que les dépenses de santé sont couvertes par l’état au niveau national, le prélèvement destiné à les compenser devraient légitimement lui revenir. Difficile toutefois pour le niveau national de réaliser quelque chose de plus fin qu’un prélèvement uniforme sur le prix des carburants.

En revanche, en application du principe de subsidiarité, les collectivités locales pourraient également être libres de définir leur fiscalité et de mettre en place des péages urbains (ce qui n’est plus prévu par la loi LOM). Mais alors, quelles règles appliquer pour ces péages urbains ? Un coût forfaitaire à la journée, ou même proportionnel au temps passé dans la ville, ne sauraient évaluer équitablement les pollutions sonores et atmosphériques générées. Si cela permet évidemment de prendre en compte les différences liées à la densité de population et de donner de la liberté aux collectivités, nous sommes encore loin de tout prendre en considération.

Les opportunités de la connectivité

C’est alors que la connectivité peut entrer en jeu. Nous pouvons imaginer un futur dans lequel les véhicules circulants communiqueraient des données relatives au nombre de kilomètres parcourus dans une ville, voire pourquoi pas directement la quantité de CO2 émise en fonction du niveau de carburant. Nul besoin de changer tout le parc automobile, un boitier communicant installé dans chaque véhicule suffirait à mesurer et émettre les informations nécessaires au calcul des cotisations dont l’usager serait redevable. L’utilisation d’une telle solution devrait toutefois répondre à des exigences de cybersécurité et anticiper les importants risques de fraudes.

Une autre piste pourrait être envisagée via la lecture des plaques d’immatriculation par des caméras. De nombreux dispositifs sont déjà en place dans nos villes pour contrôler la vitesse des véhicules ou le franchissement des feux rouges par exemple. L’idée serait que des caméras aidées d’une IA de reconnaissance des plaques d’immatriculation relèvent les numéros des véhicules à chaque passage, afin d’en estimer la circulation. Ce système serait cependant très approximatif et, outre les risques de dégradations matérielles ou de piratage de ces données sensibles, entraînerait probablement un comportement d’évitement des zones contrôlées.

Une combinaisons des deux idées que nous venons d’évoquer pourrait être envisagé, rappelant le principe de prélèvement de la taxe poids-lourd qui avait été envisagée en France. Cela permettrait de mesurer de manière exacte les kilomètres parcourus et les émissions des véhicules via un dispositif connecté, et de contrôler l’utilisation conforme du dispositif, soit en croisant les données avec celles recueillies par les caméras, soit en contrôlant la réception des signaux à chaque passage de véhicule.

L’exigence de subsidiarité

Si les citoyens s’accordaient pour recentrer le rôle de l’état et des collectivités sur la gestion des ressources et des biens communs, il en résulterait que le poids de la fiscalité reposerait davantage sur les actions aux conséquences négatives que sur des actions positives comme le travail et la création de valeur. Un tel modèle nécessite toutefois de rendre les collectivités à tous les échelons libres de décider démocratiquement de taxer ou non, et par quelles manières, les externalités négatives qui concernent leurs territoires. L’innovation politique et technologique se développera en permettant les expérimentations et en mettant en concurrence une grande diversité de modèles. Une répartition des compétences suivant une logique fédérale est donc une exigence pour permettre au citoyen de reprendre le pouvoir sur son territoire et son environnement.

 

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