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Tesla, General Motors… ces constructeurs automobiles qui se lancent dans la production de vélos électriques

En fin d’année 2018, les 2 constructeurs automobiles américains General Motors (GM) et Tesla ont annoncé qu’ils se lançaient tous les deux dans la création et commercialisation de vélos électriques. Si en ce qui concerne Tesla, rien de plus que : « Electric bike, I think we might do an electric bike, yeah. » n’a été divulgué par Elon Musk, du côté de General Motors le projet est déjà bien en route, et ce 31 janvier le nom du modèle – qui a fait l’objet d’un concours sur internet – sera connu du public.

On pourrait avoir une première réaction d’étonnement face à cette décision de se tourner vers la construction de vélo électrique, pour deux acteurs majeurs du marché automobile américain et mondial. Mais rester à cette phase d’étonnement serait oublier que nous sommes rentrés depuis maintenant quelques années dans une nouvelle ère de la mobilité. Une nouvelle ère où les constructeurs automobiles ont face à eux le défi du changement climatique, de l’appauvrissement des ressources, et de la demande accrue de la part du consommateur de mobilités plus « douces ».

Une diversification des constructeurs automobiles vers les mobilités douces est-elle durable ?

Pour cette analyse nous allons principalement étudier le cas américain. Cependant, le marché des Etats-Unis est tellement interconnecté avec celui de la Chine que pour mieux saisir le pourquoi de cette diversification par Tesla et GM, nous nous tournerons aussi du côté de ce pays.

  1. Un marché en expansion des mobilités douces et des alternatives à la voiture

Le marché automobile américain : un marché qui a vocation à innover, ou s’essouffler

En 2015, 84 milliards d’heures ont été passées par les Américains au volant d’une voiture. Le temps passé dans la voiture en moyenne aux Etats-Unis est supérieur à tout autre temps passé sur les autres loisirs. L’automobile aux Etats-Unis est pour beaucoup une nécessité, en particulier dans les petites villes ou zones rurales, mais aussi dans les grandes villes qui, tentaculaires, ont des distances travail-foyer conséquentes. Le secteur de l’automobile est donc central et historiquement lié à l’économie américaine. Il n’est néanmoins pas à l’abri des changements d’époques, et ses innovations prennent parfois le pli, ou annonce la couleur, d’un basculement dans une nouvelle ère.

En 2018, le marché automobile américain a confirmé un certain essoufflement, après 7 ans de croissance continue. Le premier constructeur automobile américain, General Motors, a connu une baisse de 11 % de ses ventes au troisième trimestre1. D’autres constructeurs américains ou internationaux ont connu une baisse similaire, à l’exception de Fiat-Chrysler qui a connu sur la même période une hausse de 15% des ventes1. Si les chiffres par rapport à 2017 sont biaisés par l’ouragan Harvey – qui a provoqué une hausse exceptionnelle des ventes de voitures neuves, ce fléchissement général du marché américain était attendu pour l’année 2018. En effet, plusieurs facteurs, et en particulier la hausse des taux d’intérêts et le marché de l’occasion, font que les consommateurs boudent l’achat de voitures neuves, trop coûteuses.

Une appétence des citadins américains pour les mobilités douces et les innovations en matière de mobilité

Un autre facteur à prendre en compte pour comprendre ce marché automobile en berne est, en particulier dans les villes et grandes villes, le développement de solutions de mobilités douces. Le succès tonitruant de l’entreprise Lime2, qui propose plusieurs solutions pour effectuer « le dernier kilomètre » comme des trottinettes ou des vélos, est un exemple de la demande forte des citadins américains pour des moyens de se déplacer plus variés. Créée en 2017, l’entreprise est aujourd’hui présente dans plus de 30 villes aux Etats-Unis, dont les plus grandes comme Washington D.C., Los Angeles, Seattle ou New York.

Le marché des vélos et trottinettes en free-floating prend très rapidement de plus en plus d’ampleur dans le paysage global de la mobilité. L’avenir des déplacements semble se dessiner autour du principe de la multimodalité, ou le fait de varier les modes de transports dans un même trajet. Cette pluralité de modes de transport a pour le citoyen un but d’optimisation clair : il s’agit d’optimiser au mieux son budget, son temps de trajet, et son impact environnemental. Il ne s’agit donc pas de supprimer la voiture du paysage – au contraire, elle reste un lieu d’innovation florissant aux Etats-Unis avec la recherche sur les véhicules autonome et/ou « propres » – mais plutôt de la reléguer, principalement dans les villes, a un moyen de transport parmi d’autres, et non plus le choix n°1 systématique qu’elle peut être aujourd’hui.

Pour les constructeurs automobiles, c’est une belle opportunité à saisir : bien ancrés dans le paysage américain, ils ont l’opportunité d’assimiler de nouveaux talents et de développer de nouveaux services autour de la multimodalité. En effet, si la mobilité électrique et les véhicules autonomes sont des axes d’innovations conséquents pour les constructeurs automobiles, l’attrait de la diversification est puissant : Impulser la transformation en acteur de la mobilité sous plusieurs de ses formes pourrait permettre à des constructeurs de développer des expertises précieuses pour les années à venir.

2. Focus : En quoi ce choix du vélo électrique fait sens pour les entreprises General Motors et Tesla ?

Qui sont General Motors et Tesla ?

Le choix de la diversification, General Motors et Tesla l’ont donc affirmé depuis peu à nouveau par l’annonce du développement d’une offre de vélos électriques.

Tesla et General Motors ont des positionnements sur le marché de la mobilité aux Etats-Unis très différents. Depuis 2003, Tesla s’est positionné comme l’acteur phare du développement de la mobilité électrique d’une part, mais aussi comme un acteur clef du développement de solutions innovantes sur d’autres thèmes de la consommation énergétique, cf Solar Roof et Power Wall.

Si les voitures développées jusqu’ici étaient loin d’être grand-public, le Modèle 3 a rencontré un franc succès et a permis au constructeur de faire un bénéfice à la fin du T3 2018.

General Motors pour sa part est une entreprise américaine historique qui, après avoir connu une véritable crise en 2009, est aujourd’hui un des constructeurs les plus pérennes aux Etats-Unis. Le secret ? General Motors a su se renouveler entièrement, de son organisation à sa manière d’envisager son cœur de métier. GM a su prendre le pli de la transition énergétique : pas moins de 20 nouveaux modèles de voiture électriques seront lancés en d’ici 2023. Cependant, son élan vers la nouvelle mobilité ne s’arrête pas là, puisqu’à l’instar de Tesla, l’entreprise va se lancer dans la construction de vélo électrique.

Si du côté de Tesla le projet reste encore publiquement à l’état de simple idée lancée par le fondateur de l’entreprise Elon Musk, ce projet fait sens avec la mission que s’est donnée l’entreprise d’accélérer la transition énergétique mondiale. Pour General Motors, ce projet fait aussi sens, en ce que l’entreprise affiche depuis sa nouvelle direction une véritable impulsion vers l’innovation de la mobilité.

Le contexte politique derrière les choix des constructeurs américains

Néanmoins, il est intéressant de prendre du recul de d’observer le contexte politique et économique des Etats-Unis face à son concurrent qu’est la Chine, pour comprendre l’attrait que peut représenter le fait de construire un vélo électrique 100% « Made in USA ».

Aux Etats-Unis, jusqu’à août 2018, aucune taxe douanière ne touchait les vélos électriques, et seulement 4% de taxe douanière était appliquée pour leurs moteurs. Ce qui fait que les prix des vélos électriques ont depuis toujours été relativement bas (500$ sur Amazon pour certains modèles).

Cette époque est désormais révolue, puisque dans une politique protectionniste, les vélos électriques et leurs composants sont désormais taxés à 25% à la frontière Américaine. Un choix étonnant puisqu’il n’y a pas de marché de la construction de vélo électrique aux Etats-Unis. En effet, l’immense majorité des vendeurs, designers ou constructeurs (assembleurs finaux) de vélos électriques américains se fournissent essentiellement de pièces importées directement d’Asie, et en particulier de Chine. Et ces entreprises n’ont pour la plupart pas les moyens ni l’intention de fabriquer eux-mêmes de A à Z ces produits (coût de la main d’œuvre beaucoup plus forts, nécessité d’investir dans des infrastructures nouvelles etc…)

Tesla et General Motors sont deux entreprises qui ont les moyens financiers et humains pour relever le défi de créer des vélos électriques 100% made in USA. Ces deux entreprises, aujourd’hui fleurons de l’industrie américaine, l’une historique et l’autre challenger n°1, ont donc décidé de relever le défi, et de proposer un service diversifié à leurs clients en s’ouvrant à la construction de vélo électrique. Leur positionnement à ce sujet est donc intéressant : si les deux entreprises répondent aux attentes du développement d’une industrie américaine de plus en plus autonome vis-à-vis de ses voisins, elles témoignent aussi d’une démarche assumée vers le développement durable. Une démarche en contradiction, donc, avec la ligne directrice que suit le gouvernement des Etats-Unis en ce moment.

Il n’est cependant pas encore dit que tous les composants de ces vélos seront produits localement.

A l’instar de Tesla et General Motors, Ford a aussi enclenché une démarche vers la multimodalité en rachetant en fin d’année 2018 Spin, un acteur incontournable de la mobilité douce américaine, fournisseur de trottinette en free-floating. La diversification des métiers au sein des entreprises historiquement constructeurs d’automobile semble donc être un mouvement qui prend de l’ampleur ces derniers mois. La tendance de décroissement du « car ownership » vers la diversification des moyens de transports doux et le partage n’en prend que plus d’ampleur. Peu à peu, les constructeurs américains transforment leurs business model pour s’adapter à la demande d’une part, mais aussi pour amorcer la transition vers une autre manière d’être rentable : il ne s’agit plus seulement de construire des voitures, mais de proposer tout un service de déplacement adapté et adaptable, du premier au dernier kilomètre.

Lucille MESTRALLET

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